DISCOURS DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
L’HOSPITALISATION EN MILIEU PSYCHIATRIQUE
Antony – Mardi 2 décembre 2008
C’est la première fois, je crois, qu’un Président de la République rend visite au personnel d’un hôpital psychiatrique. Je n’en tire aucune fierté personnelle. Je ne fais que mon devoir.
Pourquoi ? Parce que vous accomplissez chaque jour une œuvre remarquable au service de la société. Parce que vous travaillez dans un environnement rude pour prendre en charge des patients qui peuvent ne pas accepter les soins. Parce que votre rôle est de guérir les maux de l’âme, les souffrances mentales qui sont sans doute les plus mystérieuses et les plus difficiles à traiter. Parce que vos moyens d’agir, ce ne sont pas les IRM, les blocs opératoires, les prothèses : ce sont vos paroles d’abord, votre savoir faire dans la relation avec le patient, les médicaments aussi.
Votre exercice professionnel et votre pratique sont riches et complexes. Votre métier comporte des risques. Votre travail vous apporte, je le sais, de grandes satisfactions, quand un malade va mieux. Mais il y aussi l’agressivité, voire la violence, de certains patients. Il y a aussi les réadmissions fréquentes de ces patients dont vous vous demandez si la place est bien ici, à l’hôpital. Je comprends fort bien que, certains jours, votre métier, ou plutôt les difficultés de votre métier, vous pèsent. Ces jours-là, quand vous ressentez ce poids, vous savez toujours puiser dans les ressources que vous donnent l’amour de votre travail, la solidarité entre collègues et la satisfaction de voir vos efforts récompensés par le mieux-être des malades.
Médecins, psychologues, infirmières, aides-soignantes, techniciens, agents de service, personnels administratifs en milieu psychiatrique, vous pouvez être fiers de votre métier. Car vous nouez une relation particulière avec la personne malade. De tous les soignants, vous êtes sans doute ceux qui connaissent le mieux leurs patients. Vous prodiguez des soins au long cours à des personnes qui, pour guérir, doivent pouvoir s’ouvrir à vous et aux autres. Votre travail consiste d’abord à établir une relation personnelle entre vous et eux. C’est ce qui fait l’extrême exigence de votre rôle. C’est ce qui en fait aussi, je crois, la noblesse.
Pour tout cela, je veux aujourd’hui, simplement, vous rendre hommage. Je veux rendre hommage à vous, les personnels d’un secteur, l’hôpital psychiatrique, qui fait peu parler de lui, qui est souvent incompris et rarement reconnu. Je veux saluer votre engagement indéfectible au service de la personne malade. Je veux saluer votre courage. Je veux saluer votre travail.
Notre société a besoin de vous. Notre société a besoin que les personnes dont la santé mentale est défaillante soient soignées et, si possible, guéries dans les meilleures conditions possibles.
Trop souvent, c’est vrai, on ne parle de vos établissements qu’à l’occasion de faits divers mettant en cause les patients qui vous sont confiés. A mes yeux, soyez-en certains, ces faits divers ne remettent nullement en question votre dévouement, vos compétences et les services que vous rendez à la société. Ces faits divers doivent en revanche tous nous interroger sur les lacunes qu’ils peuvent révéler dans le système d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge. Surtout lorsque ces drames ne peuvent être imputés à la fatalité.
Vous vous souvenez tous du meurtre commis il y a quelques jours à Grenoble sur une personne de 26 ans par un malade qui avait fugué de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève. Permettez-moi, avant de revenir un instant sur ce drame, d’adresser mes pensées à la famille de ce jeune homme.
J’ai été choqué par cette affaire. Voilà une personne -le futur meurtrier- qui avait déjà commis plusieurs agressions très graves dans les murs et hors les murs ! Voilà une personne éminemment dangereuse qui bénéficiait pourtant de deux sorties d’essai par semaine ! Et j’entends dire que rien n’indiquait que cette personne pouvait à nouveau passer à l’acte, que rien n’avait été fait pour renforcer sa surveillance ? Et je n’ai pas entendu beaucoup de mots pour la victime qui a eu le malheur de croiser le chemin de l’assassin.
Entendons-nous bien. Pour vous, comme pour moi, la place des malades n’est pas en prison, mais à l’hôpital. Et je trouve injuste la façon dont on parle, ou dont on ne parle pas, des hôpitaux psychiatriques. Mon propos n’est pas de dire que la seule solution est l’enfermement à vie. Mon propos n’est pas de dire que seuls comptent les risques pour la société et jamais le cas particulier du malade. Mon propos n’est pas de dire qu’il n’y a que des délinquants ou des criminels et pas des malades. Un schizophrène est, avant toute autre considération, une personne malade. Je mesure l’apport extraordinaire de la psychiatrie à la médecine d’aujourd’hui et la singularité de votre mission.
Mais il faut trouver un équilibre entre la protection de la société et la réinsertion du patient. Mon devoir, notre devoir, c’est aussi de protéger la société et nos compatriotes. L’espérance, parfois ténue, d’un retour à la vie normale, ne peut pas primer en toutes circonstances sur la protection de nos concitoyens. Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte. Et vous savez fort bien que des patients dont l’état s’est stabilisé pendant un certain temps peuvent devenir soudainement dangereux.
Il faut plus de sécurité et de protection dans les hôpitaux psychiatriques. Cette protection, nous la devons d’abord à vous, les personnels. Car vous êtes en première ligne. Vous êtes, comme les familles, les plus exposés aux situations de crise. La société doit d’abord vous protéger et vous permettre de vous recentrer sur le cœur de votre mission, le soin.
Je souhaite que plusieurs mesures soient mises en œuvre à cette fin.
Nous allons d’abord, chère Roselyne, réaliser un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques. Nous ferons en ce domaine un effort de 30 millions d’euros. Ces investissements serviront à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements et à prévenir les fugues. Quand un patient hospitalisé d’office sort du périmètre autorisé par son médecin, l’équipe soignante doit en être immédiatement informée. Certains patients hospitalisés sans leur consentement seront équipés d’un dispositif de géo-localisation qui, si cela se produit, déclenche automatiquement une alerte. Ce système est déjà utilisé à l’hôpital, par exemple dans les unités qui soignent des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il devrait rassurer les personnels et alléger leurs tâches.
Par ailleurs, au moins une unité fermée va être installée dans chaque établissement qui le nécessite. Ces unités seront équipées de portes et de systèmes de vidéosurveillance pour que les allées et venues y soient contrôlées.
Enfin, nous allons aménager 200 chambres d’isolement. Ces chambres à la sécurité renforcée sont destinées aux patients qui peuvent avoir des accès de violence envers le personnel.
La création d’unités fermées et de chambres d’isolement supplémentaires est une mesure dont je veux souligner l’importance. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que certaines personnes malades sont plus agressives que d’autres ; que certains patients ne sont pas faits pour l’hospitalisation conventionnelle sans pour autant relever des unités pour malades difficiles. Il manque, entre les deux, une prise en charge intermédiaire. C’est précisément ce vide que viennent combler les unités fermées et les chambres d’isolement.
Pour les malades les plus difficiles, nous allons, là aussi, renforcer le dispositif de prise en charge. Quatre unités supplémentaires pour malades difficiles de quarante lits chacune vont être créées. C’est une excellente mesure, qui doit permettre aux personnels de travailler dans des conditions plus appropriées à la spécificité de certains malades. C’est un investissement de 40 millions d’euros pour 22 millions d’euros de crédits de fonctionnements annuels.
Vous le voyez, l’Etat prend ses responsabilités et investit 70 millions d’euros -30 pour la sécurisation des établissements et 40 pour les unités pour malades difficiles- pour améliorer la sécurité dans les hôpitaux psychiatriques.
J’ai annoncé une réforme sanitaire des procédures de l’hospitalisation d’office pour que le drame de Grenoble ne se reproduise pas. J’ai demandé à Roselyne BACHELOT de préparer un projet de loi. Vous me direz que le placement d’office ne concerne que 13% des hospitalisations. Mais ce sont sans doute celles qui exigent le plus de précautions. Là encore, je pense qu’un meilleur équilibre entre la sécurité et la réinsertion est nécessaire.
Il faut réformer l’hospitalisation d’office pour concilier qualité des soins et sécurité des personnes.
Nous allons d’abord instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique. 80% de vos patients sont pris en charge en ville. De même qu’il existe l’hospitalisation sans consentement, il faut qu’il y ait des soins ambulatoires sans consentement. C’est l’intérêt même du patient et de sa famille. L’obligation de soins doit être effective même en cas d’absence ou de défaut de la famille. On ne peut pas laisser seul un patient qui a un besoin manifeste de soins et qui peut, parfois, refuser de s’y soumettre.
Les sorties des patients doivent, par ailleurs, être davantage encadrées. La décision d’autoriser une personne hospitalisée d’office à sortir de son établissement ne doit pas être prise à la légère. Comme vous le savez, c’est une décision qui peut être lourde de conséquences. Je souhaite que désormais le préfet décide de la sortie, que ce soit une sortie d’essai ou une sortie définitive, sur la base d’un avis rendu par un collège de trois soignants : le psychiatre qui suit le patient, le cadre infirmier qui connaît la personne et ses habitudes et un psychiatre qui ne suit pas le patient. Les psychiatres libéraux pourront en faire partie. L’exercice collégial est la clé de cette réforme.
Le préfet reste libre de sa décision, naturellement. Mais l’avis du collège de professionnels de santé sur la situation du patient lui permettra d’être informé et éclairé. Je ne veux plus que les préfets décident de façon aveugle. Ils doivent engager leur responsabilité en connaissance de cause. Grâce à la collégialité de l’avis des soignants, la décision du préfet sera plus sûre.
Enfin, le Gouvernement s’assurera que les informations administratives sur les hospitalisations d’office soient partagées entre tous les départements. Le secret médical sera, bien évidemment, respecté de la façon la plus stricte.
Mesdames, Messieurs,
Au-delà de ces mesures destinées à renforcer la sécurité de tous, celle des personnels, celle des patients, celle de la population en général, ma vision de l’hôpital psychiatrique, c’est qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un hôpital.
J’ai, vous le savez, une grande ambition pour les hôpitaux dans notre pays. J’ai donc une grande ambition pour les établissements psychiatriques qui doivent être considérés comme une composante à part entière du service public de l’hospitalisation. Je souhaite que vous soyez davantage concernés par la réforme de l’hôpital et mieux impliqués dans sa mise en œuvre. Cette réforme, elle est aussi faite pour vous et je demande à Roselyne Bachelot de veiller à ce qu’il en soit bien ainsi.
Et si la question de l’organisation et des ressources de l’hôpital psychiatrique se pose, alors je pense que nous devons la poser sans tabou.
Grâce au plan de santé mentale 2005-2008 notamment, les moyens de fonctionnement alloués au secteur public ont progressé d’un peu plus d’un milliard d’euros -c’est un effort très important- entre 2004 et 2008. Près de 3 000 postes de médecins et de soignants ont été créés. Le nombre de lits d’hospitalisation est resté stable depuis 2004, alors même que la prise en charge ambulatoire s’est développée, ce qui est heureux.
Par ailleurs, un plan d’investissement important, en plus de celui que je viens de vous annoncer, est en cours. 342 opérations de modernisation doivent être réalisées entre 2006 et 2010 pour un montant total d’1,5 milliard d’euros.
S’il apparaît qu’il faut investir davantage, nous investirons davantage. S’il faut accélérer certains projets, nous les accélérerons. J’y suis prêt. Mais dans ce domaine, comme dans les autres, je le dis très clairement, les moyens supplémentaires n’iront pas sans les réformes.
Comme l’hôpital général, il faut que l’hôpital psychiatrique, ait un patron, et un seul, qui ait le pouvoir de dire oui, de décider et d’agir. Il faut aussi que l’hôpital psychiatrique coopère davantage avec les autres acteurs de l’offre de soins, pour mieux gérer les urgences et pour rendre le parcours du patient plus fluide. Il est enfin important, essentiel, d’accroître l’attractivité des métiers et des carrières au sein des hôpitaux psychiatriques, tout en développant les passerelles avec les autres établissements de santé.
Permettez-moi d’adresser un message particulier aux directeurs d’hôpitaux. Ils sont au cœur de la réforme de l’hôpital que j’ai voulue et que Roselyne BACHELOT a préparée. Aurais-je voulu une réforme qui leur donne une place si centrale si je n’avais pas confiance en eux, si je doutais de leur dévouement au service public ? A tous, je dis ma confiance et mon estime. Je sais le travail remarquable que les directeurs accomplissent chaque jour avec l’ensemble des personnels hospitaliers. Mais être un patron, cela veut dire être responsable et assumer ses responsabilités.
Vous le voyez, avec Roselyne Bachelot, il n’est pas question que la psychiatrie soit oubliée ou négligée. L’Etat la soutient et continuera à le faire. Notre pays a besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui soigne et guérit, une hospitalisation psychiatrique en progrès, où le bien-être des malades et des personnels est en permanence pris en compte et amélioré. Notre pays a besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui protège, qui allie responsabilité, compétence et technicité. Soigner et protéger : vous me permettrez de ne pas opposer ces deux objectifs. Je suis convaincu qu’on peut et qu’on doit mieux faire dans l’intérêt des patients comme dans celui de la société.
Je vous remercie.