C’est fou ce que parler de la folie peut engendrer. Le site du collectif des 39 s’est transformé l’espace d’une semaine en petite foire d’empoigne. Il faut dire que tout ça part d’un communiqué du collectif réagissant à la décision du Conseil Constitutionnel. Il semble acquis que le collectif se devait de répondre à ces messieurs dames nommés par Notre Président National (ainsi que deux autres de son bord qui tapent du marteau pour l’un à l’Assemblée et l’autre au Sénat). Les psychiatres parlaient donc au Conseil. Et les «usagers» hurlaient au loup. Parce que si vous n’êtes ni usager défenseur des usagers de la psychiatrie ou soignant en psychiatrie, vous n’arrivez pas vraiment à comprendre. D’un côté un texte un peu ampoulé (le communiqué), il faut bien le dire, pas toujours évident à saisir mais déclarant en substance que le juge n’a rien à faire dans l’accueil de la folie et que l’hospitalisation en psychiatrie n’est pas une privation de liberté équivalente à la prison. De l’autre, des usagers «emballés» par la décision du conseil qui déclarent la «guerre» aux membres du collectif, devenus pour le coup des suppôts d'une psychiatrie toute puissante voulant conserver ses droits à "enfermer comme bon lui semble".
Comment s’y retrouver dans tout ça ?
Non, c’est vrai à la fin, on n’y comprend plus rien ! Le collectif défend une psychiatrie humaniste, milite contre le sécuritaire en psychiatrie et voilà donc qu’ils montreraient leur vrai visage de «privateurs de libertés» en étant simplement pas d’accord avec une décision du Conseil Constitutionnel de mettre un juge dans le coup ? Parce que cette décision de mettre un juge dans la boucle serait obligatoirement «bonne», plus humaine, les aideraient plus, les patients ? Si l’on essaye de suivre le raisonnement du côté des patients, on arrive mieux à comprendre leur emportement positif d’un côté (le juge) et leur indignation de l’autre (le communiqué qui ne veut pas du juge). Ceux qui sont montés au créneau déclarent en substance que l’hôpital ne peut être un lieu de non-droit, que le malade doit avoir des droits comme les autres personnes et que par conséquent il est normal et indispensable qu’un juge puisse se pencher sur son cas après 15 jours d’hospitalisation sans consentement. Et que ceux qui ne seraient pas d’accord avec cette obligation du juge seraient en fait les défenseurs d’un hôpital psychiatrique privant de libertés les citoyens sans avoir la possibilité de se faire entendre par la justice, comme tout le monde.
Ca se complique, mais on peut simplifier quand même, enfin pas vraiment.
Ce qu’il ressort de flagrant c’est la vision très légèrement différente de l’hospitalisation qu’ont les usagers et les soignants. Du côté des premiers, l’hospitalisation sans consentement est une privation de liberté anormale puisque basée sur des critères purement médicaux. De l’autre, une obligation médicale. L’accord des deux ne paraît pas simple. Parce que l’hospitalisation dont tout le monde parle c’est celle de quelqu’un qui vit la folie. Pas juste quelqu’un qui a un bobo : un fou quoi. Un délirant qui voit des trucs que les autre ne voient pas ou croit qu’il est le messie, ou en communication avec une puissance extra-terrestre, que sais-je encore ? Peut être quelqu’un qui a lancé autour de lui qu’il allait se supprimer aussi. Ce quelqu’un inquiète ses proches, qui l’amènent voir le médecin et son hôpital plein de blouses blanches. Et il ne veut pas rester dans l’hôpital, pour peu qu’il soit convaincu d’un complot à son égard avant d’arriver, on comprend qu’il ne veuille vraiment pas. Alors la question, c’est : qu’est-ce qu’on fait ? On le laisse partir s’il veut pas rester ? Inquiétant quand même, et puis les proches, ils vont avoir vraiment la trouille. Le garder, oui, mais il veut pas. Bon, on le garde contre son gré et on tente de faire qu’il arrête de penser que tout le monde entend ses pensées ou que les voix qui l’insultent cessent. Donc c’est sans son consentement. Mais c’est pour le soigner. Mais il n’a plus le droit de faire comme il veut. Oui, mais il est pas en mesure de savoir ce qu’il veut parce qu’il est délirant ! Ah le dilemme. C’est insoluble cette affaire, non ?
Et si le problème n’était pas que le patient soit privé de liberté ?
Oui, ce n’est pas très politiquement correct de dire ça, mais quand même. L’accueil de l’hôpital psychiatrique pour les gens en crise (et donc en HDT ou en HO), c’est pyjama, gros médicaments qui assomment, personnel pas en forme parce qu’en sous-effectif, locaux des années 60 et attente que la nuit vienne remplacer le jour et vice-versa. C’est sûr qu’en terme d’accueil, on pourrait faire mieux. Et là, on se dit qu’avec des conditions aussi minables et une thérapeutique à peu près inexistante, le patient, il se sent nié. Il a la sensation d’être un taulard, avec des blouses blanches au lieu de matons. Pour le reste, le cadre est proche de la taule, surtout si il a passé quelques jours dans la chambre d’isolement, encore plus si il a été mis en contention : attaché à son lit comme un animal rétif. Alors, maintenant, grâce à la décision du conseil constitutionnel, il aura son joli dossier, le patient, qui sera envoyé à un juge, après 15 jours. Le juge va vérifier que tout est bien conforme. A quoi ? On ne sait pas, mais il vérifiera. Là, je tiens à dire que pour l’observateur extérieur c’est assez bizarre, on ne comprend pas vraiment ce que ce juge va faire si il estime que c’est pas conforme malgré que le psychiatre dise qu’il est pas guéri, le patient. Demander à ce que le patient sorte ? Contre l’avis du psychiatre ? Ah. Et si le patient pète les plombs dehors le lendemain ? Rebelotte ? Les tiers qui le ramènent, ou les forces de l’ordre qui l’incarcèrent. Bon, la question ne se pose pas puisque c’est un juge et que la liberté, les droits de l’homme ont été respectés. Essentiel ça, les droits de l’homme, une caution imparable. Et si les juge vérifient tout le temps que tout est conforme, on aura une psychiatrie…conforme. Donc les locaux des années 60, les gros médicaments et les chambres d’isolements pourront tourner sur elles-mêmes avec des soignants en sous effectifs qui travaillent 15 heures d’affilées au milieux de patients bien protégés par la justice et les droits de l’homme. Hourra ! Victoire !
Conclusion sur une «possibilité probable» de l’utilisation du juge comme garantie imparable (aux soins ambulatoires contraints).
J’ai ouï dire qu’au printemps une belle loi sur la santé serait votée par la majorité du président de tous les Français. Dans celle-ci seront inscrites quelques petites choses «amusantes» pour garantir la sécurité des malades mentaux et de la société qui entoure les malade mentaux. Oui, on protège les deux, c’est mieux. Il y aura, par exemple, l’obligation de soins. C’est à dire que le patient schizophrène rentré en HDT pourra sortir de l’hôpital avec la garantie qu’un juge aura bien vérifié son dossier. Mais une fois dehors il sera sommé d’aller prendre des médicaments. Mais attention, avec la justice qui aura bien vérifié que tout est conforme, que les droits de l’homme auront bien été respectés. Le bracelet électronique sera utilisé dans le cas où le schizophrène aura été violent ou aura donné des «signes de dangerosité». Cela aussi aura été validé par un juge. Et cette mesure de bracelet sera encadrée par le droit, pour le bien de la personne et de la société. Personne ne pourra dire que forcer des malades mentaux à prendre des médicaments, sans être enfermés à l’hôpital, avec la possibilité de sortir d’une hospitalisation sous contrainte grâce à un juge est une mauvaise chose. Puisque tout aura été vérifié, mis en conformité avec les droits de l’Homme ! Quant à les obliger à prendre des médicaments, puisque la justice sera passée par là et que les patients ne seront plus enfermés abusivement, où est le problème ?
Pour finir sur une note plus optimiste et moins ironique : la question de l’accueil des patients en HDT ou HO semble beaucoup plus centrale que l’apparition d’une justice entourée d’un vernis «droit de l’hommiste». De l’accueil de ces patients, mais aussi des soins réels apportés au delà du traitement de crise (on ne parle plus de psychothérapie institutionnelle, c’est impossible en HP ?)
Qu’en est-il de la formation du personnel ? De la qualité relationnelle entre ces personnels et les patients ? A quand une réelle volonté de moyens pour permettre que les patients sortent le plus tôt possible de ces moments difficiles de mise à l’écart ?
Patients qui pourraient effectuer un «séjour contraint» mais respectueux, humain, thérapeutique et accueillis simplement comme des personnes en souffrance par des personnels soignants bien formés et en nombre suffisant ?
P.H