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>Ateliers de réflexions des 39 : comment réformer la psychiatrie ?
Je suis un membre des 39 et pourtant, je ne suis pas soignant. Je suis membre des 39 parce que je crois en la sincérité du collectif, à son engagement pour protéger et mieux aider les patients qui traversent la psychiatrie. Sur leur supposé dogmatisme, parfois dénoncé ici ou là, j'ai observé les membres soignants des 39 dans de nombreuses réunions et leurs capacités à se remettre en question et à ne pas se laisser entraîner dans une forme de religion de la psychanalyse, par exemple, m'a surprise. Bien que le socle de leur pratique soit d'inspiration psychanalytique, c'est à dire une science humaine, profondément humaine, ces soignants là ne sont pas des ayatollah de la psychanalyse.
Ces soignants là luttent avec leurs armes, et une arme plus particulièrement : la parole. La circulation de la parole. Parfois physiquement quand ils vont brandir des pancartes ou des banderoles comme au printemps dernier mais aussi en accompagnant des débats autour de films comme "Un monde sans fous ?" afin de tenter d'expliciter la réalité de ce qu'il se passe dans le monde de la psychiatrie en France. C'est-à-dire de la nécessité de réformer cette psychiatrie agonisante qui ne propose plus que de considérer les hommes et les femmes en souffrance psychique (qu'elle est pourtant censée accueillir, et qu'en réalité elle "gère"), comme des troubles à résorber, une suite de protocoles à exécuter, comme des individus dangereux et inquiétants qu'il faut contenir et traiter chimiquement ainsi qu'avec des processus thérapeutiques courts de psycho-éducation neuro-cognitiviste.
Les débats sont riches au sein des 39. Ce fut le cas de ce samedi 3 décembre. Autour de thèmes comme la famille, les enfants, la formation, les pratiques…Ces débats sont ouverts, horizontaux, chacun peut y prendre la parole, qu'il soit psychiatre, éducateur, infirmier, psychologue ou autre chose, c'est à dire "individu ayant à voir (et à penser) avec la psychiatrie, comme je le suis. Des auto-critiques y sont formulées dans ces débats : sur l'aveuglement, à certaines époques, des psychiatres membres des 39, un peu trop enfermés dans des croyances, par exemple.
Personne n'est parfait, les soignants comme les autres, mais surtout les soignants qui travaillent avec cette matière totalement insaisissable qu'est le psychisme. Le reconnaître, le discuter, est pour moi une qualité extraordinaire qui je dois le dire, ne cesse de m'impressionner. J'ai été saisi hier par la réelle volonté de ces professionnels à se placer à la fois comme militants d'une autre psychiatrie, qui tous les jours agissent dans le sens de l'accueil, mais pour autant conscients de leurs erreurs, de leurs difficultés, de leurs progressions et de l'arrivée à un moment où il ne leur est plus possible de laisser le "voile noir du scientisme, sécuritaire, protocolaire, cette froide médecine de l'esprit auto-déclarée scientifique" recouvrir tant d'années d'efforts. Et écraser l'humanité en l'homme.
Quels efforts ? Ceux qui pourraient donner une voie à la réforme de la psychiatrie. Cette réforme qui doit absolument survenir avant que l'enfer d'une vision concentrationnaire ne s'abatte définitivement sur les patients et une partie des soignants. Si je parle de vision concentrationnaire, ce n'est ni par provocation, ni par légèreté. Les méthodes, pratiques, lois qui s'opèrent aujourd'hui en hôpital ou en clinique ne sont à mon sens qu'une forme de métaphore des camps de concentration nazis adaptés à une certaine modernité du soin psychique : grilles d'évaluation pour mieux diriger les personnes vers certains protocoles, comme on séparait et évaluait ceux qui allaient travailler et ceux qui allaient être de suite éliminés dans les chambres à gaz. Volonté d'imposer la croyance que l'homme et son cerveau fonctionnent de la même manière qu'un ordinateur et penser que le "reprogrammer " ce cerveau, est la solution pour soigner ces maladie "mentales du cerveau". Comme le nazisme pensait faire adhérer "la planète occidentale" à la vision de l'homme nouveau, du surhomme (qui n'a rien à voir celui de Nietzsche), cet aryen programmé lui aussi pour penser la civilisation du troisième Reich. Cette civilisation de la perfection, de la puissance et de la maîtrise scientifique en toutes choses.
Je ne dis pas que les soignants, "enfermés dans ces approches", dans ces institutions "concentrationnaires" sont des nazis, qu'on ne s'y méprenne pas. Ni que les hôpitaux psychiatriques sont des camps de concentration. Non. Je dis simplement que l'état d'esprit qui prévaut en leur sein, niant l'humain dans sa complexité, son histoire, le réduisant à une suite d'opérations à effectuer, à une pathologie, état d'esprit cumulé à beaucoup de maltraitance (que j'ai rencontrée à chaque fois au cours des 20 dernières années) comportent des similitudes avec l'approche concentrationnaire. Une approche particulière de l'homme, donc. Et qu'à termes, si rien n'est fait, il sera difficile de faire la différence entre la vision totalitaire des nazis et celle que la société aura engendrée, sous une autre forme, mais similaire.
Les efforts des 39, pour nombre d'entre eux durant plus de 30 ans, ont été d'accueillir et de créer de l'espace thérapeutique basé sur l'humain et sur sa parole. De tenter d'accompagner des hommes et des femmes afin de les aider à soigner les plaies de leur âme. Pas de protéger la société d'une dangerosité supposée. Pas d'obtenir des taux de ré-hospitalisation inférieurs à 50% dans les deux années suivantes. Pas de vérifier que le médicament est bien pris par le patient. Pas de surveiller la capacité à devenir violent de ceux qu'ils ont accueillis. Non. Ils ont aidé des personnes à ce que les traitements neuroleptiques soient une chose acceptée, que la personne les prenne en toute confiance. A ce que l'accueil chaleureux et humain n'incite pas à la violence. A créer des espaces de créativité, d'échanges, de relations. Les membres des 39 ont permis par exemple, à ce que le dialogue soit un plaisir thérapeutique entre un infirmier et un patient, en dehors de tout cadre établi à cet effet, dans un couloir, dans la salle des médicaments…
Les membres des 39 ont fait des efforts pour mieux faire accepter et comprendre leur travail avec les parents des patients qu'ils aidaient, par exemple. Avec des approches en perpétuel changement, parce que l'homme change, comme la société, comme la perception des réalités que l'on a. Les efforts des 39 sont ceux qui permettraient de faire de l'hôpital psychiatrique, de la clinique psychiatrique, des lieux d'asile où les personnes en souffrance psychique pourraient se réfugier, se réparer, se reconstruire, vivre, revivre. Si ces efforts que les membres des 39 font depuis des années étaient massivement effectués, ces lieux aujourd'hui majoritairement concentrationnaires pourraient devenir ce qu'ils devraient être : des asiles chaleureux pour se soigner. Et dont on sortirait confiant en l'homme, en la société, la civilisation humaniste que nous étions censés construire ensemble depuis des siècles désormais, et plus particulièrement depuis 1945.
J'espère que nous, 39 parviendrons à faire suffisamment entendre notre voix pour que ce projet voit le jour et qui, bien qu'apparemment utopiste en ce 4 décembre 2011, n'est en fait qu'une volonté politique et citoyenne simple à activer, mais qui doit l'être le plus vite possible.
Simon Sensible
>Comment les centres psychiatriques rendent les gens… fous (Le Plus Nouvel Observateur)
Le collectif des 39 attire votre attention sur le témoignage publié sur le site du nouvel observateur, décrivant la déshumanisation de l’accueil d’un service d’urgences psychiatriques.
Valérie est assistante sociale. La souffrance des autres est son pain quotidien. Mais parfois, l'exercice de ses fonctions prend des allures d'immersion dans des mondes parallèles. Ce jour-là, elle accompagnait un usager en centre psychiatrique d'orientation et d'accueil.
La salle d'attente ressemble à l'idée que je me fais d'un cauchemar psychotique. Un vieillard déambule d'un pas pesant, un calepin à la main. Il se penche sur un écriteau et l'examine longuement, comme s'il admirait un chef d'œuvre de Leonardo : "L'utilisation du téléphone portable est interdite dans cette enceinte" peut-on y lire (LIRE LA SUITE…)
>Vol au dessus d'un nid de tabous
C’est fou ce que parler de la folie peut engendrer. Le site du collectif des 39 s’est transformé l’espace d’une semaine en petite foire d’empoigne. Il faut dire que tout ça part d’un communiqué du collectif réagissant à la décision du Conseil Constitutionnel. Il semble acquis que le collectif se devait de répondre à ces messieurs dames nommés par Notre Président National (ainsi que deux autres de son bord qui tapent du marteau pour l’un à l’Assemblée et l’autre au Sénat). Les psychiatres parlaient donc au Conseil. Et les «usagers» hurlaient au loup. Parce que si vous n’êtes ni usager défenseur des usagers de la psychiatrie ou soignant en psychiatrie, vous n’arrivez pas vraiment à comprendre. D’un côté un texte un peu ampoulé (le communiqué), il faut bien le dire, pas toujours évident à saisir mais déclarant en substance que le juge n’a rien à faire dans l’accueil de la folie et que l’hospitalisation en psychiatrie n’est pas une privation de liberté équivalente à la prison. De l’autre, des usagers «emballés» par la décision du conseil qui déclarent la «guerre» aux membres du collectif, devenus pour le coup des suppôts d'une psychiatrie toute puissante voulant conserver ses droits à "enfermer comme bon lui semble".
Comment s’y retrouver dans tout ça ?
Non, c’est vrai à la fin, on n’y comprend plus rien ! Le collectif défend une psychiatrie humaniste, milite contre le sécuritaire en psychiatrie et voilà donc qu’ils montreraient leur vrai visage de «privateurs de libertés» en étant simplement pas d’accord avec une décision du Conseil Constitutionnel de mettre un juge dans le coup ? Parce que cette décision de mettre un juge dans la boucle serait obligatoirement «bonne», plus humaine, les aideraient plus, les patients ? Si l’on essaye de suivre le raisonnement du côté des patients, on arrive mieux à comprendre leur emportement positif d’un côté (le juge) et leur indignation de l’autre (le communiqué qui ne veut pas du juge). Ceux qui sont montés au créneau déclarent en substance que l’hôpital ne peut être un lieu de non-droit, que le malade doit avoir des droits comme les autres personnes et que par conséquent il est normal et indispensable qu’un juge puisse se pencher sur son cas après 15 jours d’hospitalisation sans consentement. Et que ceux qui ne seraient pas d’accord avec cette obligation du juge seraient en fait les défenseurs d’un hôpital psychiatrique privant de libertés les citoyens sans avoir la possibilité de se faire entendre par la justice, comme tout le monde.
Ca se complique, mais on peut simplifier quand même, enfin pas vraiment.
Ce qu’il ressort de flagrant c’est la vision très légèrement différente de l’hospitalisation qu’ont les usagers et les soignants. Du côté des premiers, l’hospitalisation sans consentement est une privation de liberté anormale puisque basée sur des critères purement médicaux. De l’autre, une obligation médicale. L’accord des deux ne paraît pas simple. Parce que l’hospitalisation dont tout le monde parle c’est celle de quelqu’un qui vit la folie. Pas juste quelqu’un qui a un bobo : un fou quoi. Un délirant qui voit des trucs que les autre ne voient pas ou croit qu’il est le messie, ou en communication avec une puissance extra-terrestre, que sais-je encore ? Peut être quelqu’un qui a lancé autour de lui qu’il allait se supprimer aussi. Ce quelqu’un inquiète ses proches, qui l’amènent voir le médecin et son hôpital plein de blouses blanches. Et il ne veut pas rester dans l’hôpital, pour peu qu’il soit convaincu d’un complot à son égard avant d’arriver, on comprend qu’il ne veuille vraiment pas. Alors la question, c’est : qu’est-ce qu’on fait ? On le laisse partir s’il veut pas rester ? Inquiétant quand même, et puis les proches, ils vont avoir vraiment la trouille. Le garder, oui, mais il veut pas. Bon, on le garde contre son gré et on tente de faire qu’il arrête de penser que tout le monde entend ses pensées ou que les voix qui l’insultent cessent. Donc c’est sans son consentement. Mais c’est pour le soigner. Mais il n’a plus le droit de faire comme il veut. Oui, mais il est pas en mesure de savoir ce qu’il veut parce qu’il est délirant ! Ah le dilemme. C’est insoluble cette affaire, non ?
Et si le problème n’était pas que le patient soit privé de liberté ?
Oui, ce n’est pas très politiquement correct de dire ça, mais quand même. L’accueil de l’hôpital psychiatrique pour les gens en crise (et donc en HDT ou en HO), c’est pyjama, gros médicaments qui assomment, personnel pas en forme parce qu’en sous-effectif, locaux des années 60 et attente que la nuit vienne remplacer le jour et vice-versa. C’est sûr qu’en terme d’accueil, on pourrait faire mieux. Et là, on se dit qu’avec des conditions aussi minables et une thérapeutique à peu près inexistante, le patient, il se sent nié. Il a la sensation d’être un taulard, avec des blouses blanches au lieu de matons. Pour le reste, le cadre est proche de la taule, surtout si il a passé quelques jours dans la chambre d’isolement, encore plus si il a été mis en contention : attaché à son lit comme un animal rétif. Alors, maintenant, grâce à la décision du conseil constitutionnel, il aura son joli dossier, le patient, qui sera envoyé à un juge, après 15 jours. Le juge va vérifier que tout est bien conforme. A quoi ? On ne sait pas, mais il vérifiera. Là, je tiens à dire que pour l’observateur extérieur c’est assez bizarre, on ne comprend pas vraiment ce que ce juge va faire si il estime que c’est pas conforme malgré que le psychiatre dise qu’il est pas guéri, le patient. Demander à ce que le patient sorte ? Contre l’avis du psychiatre ? Ah. Et si le patient pète les plombs dehors le lendemain ? Rebelotte ? Les tiers qui le ramènent, ou les forces de l’ordre qui l’incarcèrent. Bon, la question ne se pose pas puisque c’est un juge et que la liberté, les droits de l’homme ont été respectés. Essentiel ça, les droits de l’homme, une caution imparable. Et si les juge vérifient tout le temps que tout est conforme, on aura une psychiatrie…conforme. Donc les locaux des années 60, les gros médicaments et les chambres d’isolements pourront tourner sur elles-mêmes avec des soignants en sous effectifs qui travaillent 15 heures d’affilées au milieux de patients bien protégés par la justice et les droits de l’homme. Hourra ! Victoire !
Conclusion sur une «possibilité probable» de l’utilisation du juge comme garantie imparable (aux soins ambulatoires contraints).
J’ai ouï dire qu’au printemps une belle loi sur la santé serait votée par la majorité du président de tous les Français. Dans celle-ci seront inscrites quelques petites choses «amusantes» pour garantir la sécurité des malades mentaux et de la société qui entoure les malade mentaux. Oui, on protège les deux, c’est mieux. Il y aura, par exemple, l’obligation de soins. C’est à dire que le patient schizophrène rentré en HDT pourra sortir de l’hôpital avec la garantie qu’un juge aura bien vérifié son dossier. Mais une fois dehors il sera sommé d’aller prendre des médicaments. Mais attention, avec la justice qui aura bien vérifié que tout est conforme, que les droits de l’homme auront bien été respectés. Le bracelet électronique sera utilisé dans le cas où le schizophrène aura été violent ou aura donné des «signes de dangerosité». Cela aussi aura été validé par un juge. Et cette mesure de bracelet sera encadrée par le droit, pour le bien de la personne et de la société. Personne ne pourra dire que forcer des malades mentaux à prendre des médicaments, sans être enfermés à l’hôpital, avec la possibilité de sortir d’une hospitalisation sous contrainte grâce à un juge est une mauvaise chose. Puisque tout aura été vérifié, mis en conformité avec les droits de l’Homme ! Quant à les obliger à prendre des médicaments, puisque la justice sera passée par là et que les patients ne seront plus enfermés abusivement, où est le problème ?
Pour finir sur une note plus optimiste et moins ironique : la question de l’accueil des patients en HDT ou HO semble beaucoup plus centrale que l’apparition d’une justice entourée d’un vernis «droit de l’hommiste». De l’accueil de ces patients, mais aussi des soins réels apportés au delà du traitement de crise (on ne parle plus de psychothérapie institutionnelle, c’est impossible en HP ?)
Qu’en est-il de la formation du personnel ? De la qualité relationnelle entre ces personnels et les patients ? A quand une réelle volonté de moyens pour permettre que les patients sortent le plus tôt possible de ces moments difficiles de mise à l’écart ?
Patients qui pourraient effectuer un «séjour contraint» mais respectueux, humain, thérapeutique et accueillis simplement comme des personnes en souffrance par des personnels soignants bien formés et en nombre suffisant ?
P.H