Ce concept vient du Québec et consiste en une participation de personnes en souffrance psychique au rétablissement d’autres personnes également en souffrance psychique. Des expérimentations sont en cours actuellement en France sur trois sites : Paris, Lille, Marseille.
Suite à une formation à Paris 8 niveau master, les patients vont devenir des experts. Ces formations tiennent-elles compte de la singularité des patients ? N’ y a-il pas un risque que les pairs aidants ne soient pas là pour soigner mais pour montrer le bon exemple, driver, coacher, ceux qui ont le mauvais goût d’être en rade, qui sentent mauvais, sont incuriques comme le disent les manuels?
Cela coûte trop cher de fabriquer des lieux de soin. Et en plus, ceux qui existent déjà sont de plus en plus inhumains et inefficaces. La vision purement gestionnaire n’aboutit-elle pas à la décharge sur les patients d’un souci de la société et au renforcement du clivage entre le cure et le care déjà institutionnalisé dans la séparation entre le sanitaire et le médicosocial ?
La vision médico centrée culturelle et idéologique actuelle, soutenue par la santé mentale positive, participe de la division du soin en «cure», art noble prodigué par des professionnels du soin et en «care» relevant des professionnels du médicosocial chargés de l’accompagnement du handicap psychique».
Cette division du travail de soin, en cure et care, dans nos Établissements psychiatriques cloisonne les travailleurs en fonction de leurs statuts professionnels, norment et bornent leurs interrelations avec les patients. Ce client usager en « cure » à l’hôpital, en devenir de handicapé psychique sera bientôt accueilli dans la cité par le secteur médicosocial, totalement séparé du sanitaire.
Le soin est une fonction collective. Prise de position radicale qui insiste sur le fait que le soin n’est pas prodigué seulement par ceux qui ont un statut de « soignant » mais aussi par les patients eux-mêmes, les familles, les amis et tous les employés de l’établissement de soin, du jardinier au Médecin-chef. Chacun participe de l’entreprise thérapeutique quel que soit son statut et son rôle.
Ce travail fait par les patients n’est pas un emploi, il n’est pas salarié, il peut être considéré comme un travail psychothérapique. Ce potentiel soignant, la plupart du temps complètement écrasé, est un opérateur de désaliénation sociale de l’Établissement par la mise en mouvement du rôle, du statut et de la fonction de chacun.
La responsabilisation et la mise au travail des patients par le partage des tâches de la vie quotidienne dans l’Établissement a posé des questions à ses promoteurs qui ont inventé les Comités Hospitaliers Croix Marines en 1953 aux journées nationales de Pau. Structure associative indépendante passant un contrat ou une convention avec l’administration de l’hôpital en ce qui concerne leurs responsabilités dans la vie sociale et le travail thérapeutique dans l’établissement.
Les Comités Hospitaliers sont les opérateurs d’une double articulation Établissement-Comité Hospitalier-Club thérapeutique. Cela ouvre à l’intérieur de l’établissement, pour les patients, des espaces et des activités cogérées avec le personnel au sein du Club thérapeutique.
En 2002, une commission de la fédération Nationale de croix marine s’est d’ailleurs battue avec détermination pour que cette possibilité juridique soit maintenue bien que, pour bon nombre, ce type de structures soient obsolètes.
La disparition des clubs thérapeutiques est renforcée par cette nouvelle vision du sanitaire, totalement clivé du médicosocial. Dans cette nouvelle idéologie, les GEMS sont d’ailleurs une manifestation directe de la disparition des clubs intra-hospitaliers.
La création d’un nouveau statut socioprofessionnel, de pair aidant, participe de l’écrasement de cet outil subtil de responsabilisation des patients : en statufiant certains en expert, on individualise une fonction collective qui se dénature du soin pour devenir normative.
Le traitement des maladies mentales n’est pas une mise aux normes qui participe d’un contrôle social. Un premier niveau d’asepsie consiste à travailler les effets pathoplastiques de l’aliénation sociale qui en surajoute à l’aliénation mentale si nous confondons le rôle, le statut et la fonction. Nous le répétons : le soin est une fonction collective et non pas un statut individualisable.
Prenons un exemple de cette vision médico centrée. Dans un hôpital psychiatrique, selon l’ARS et les protocoles d’accréditation, les médicaments doivent êtres distribués par des infirmiers et seulement des infirmiers : c’est du soin au sens «noble». Mais quand le patient rentre chez lui, qui lui donne ses médicaments ? Et quand il est à l’hôpital, qu’il est réticent et qu’il refuse de les prendre, il faut le contraindre et parfois avec force. S’il a un bon contact avec une personne qui n’est pas infirmier, la division statutaire du soin écarte ce possible recours à une approche en douceur.
Un patient accompagne plusieurs fois par jour son voisin de chambre en chaise roulante jusqu’à la salle à manger ou dans différents ateliers. Une autre apporte tous les jours le plateau-repas d’une patiente âgée qui a du mal à se déplacer. Un autre conduit la navette plusieurs fois par semaine et n’oublie pas de faire les courses d’un copain. Cela n’est-il pas du soin ? Et puis tel autre convainc son copain de chambre de ne pas fuguer, de prendre son traitement, de participer à des activités. Cela n’est-il pas du soin ?
Il est à noter le remarquable travail fait par les chercheurs autour de cette notion de care qui met en visibilité un aspect du soin qui ne se voit pas si l’on n’y fait pas attention. Ce travail invisible est d’ailleurs la plupart du temps bénévole et incombe à ceux « qui ne peuvent pas ne pas », c’est-à-dire aux femmes, aux mères et belles-filles quand il s’agit de l’univers familial.
Il faut aussi se rappeler que la dernière « victoire » des infirmiers psychiatriques a été de pouvoir arrêter de faire le ménage, les toilettes… et se consacrer aux entretiens et aux visites à domicile. Le partage des tâches suivant leur valeur symbolique est un phénomène aliénatoire contre lequel il faut lutter en permanence.
La sollicitude et le souci de l’autre, cela ne peut pas se séparer du cure. Le care n’est pas un état d’esprit, c’est un geste, approcher discrètement un fauteuil de la table pour que le patient soit à l’aise tout en respectant sa dignité. Cela paraît totalement insensé de vouloir séparer le cure et le care dans le travail réel en institutionnalisant cette fonction en statut comme certains de nos politiques en font la promotion.
L’hospitalité pour la folie à l’hôpital psychiatrique souffre de cette destruction du lien social opéré par ces protocoles déshumanisant assignant chacun selon son statut à un rôle figé. Alors que l’on a des outils thérapeutiques qui permettent d’intriquer le cure et le care.
Des pairs qui aident des pairs, c’est la vie quotidienne dans un lieu de soin qui développe les principes de bases des clubs thérapeutiques : La lutte contre les préjugés d’irresponsabilité et de dangerosité des malades mentaux mais, aussi, et surtout, la gestion collective de l’ambiance et de la vie quotidienne.
C’est un travail de soutien, d’accompagnement, qui n’est pas reconnu comme outil primordial de soins dans la plupart des structures où chacun est à la place où son statut le fige, écrasant la polysémie des existants que nous sommes.
Untel se met à parler de ses vécus délirants ou hallucinatoires seulement avec tel autre, parce que c’est un autre, accessible à son vécu intérieur, à qui il se fie. Parfois ce tel autre possible c’est le cuisinier. Mais comment le rencontrer s’il est physiquement isolé dans son laboratoire cuisine, obéissant aux dernières normes hyper sécure du cheminement protocolisé de la chaîne alimentaire. Chaîne parmi les autres qui l’enferment dans son statut et fait disparaître ce possible existant ouvert à la rencontre d’un sujet errant dans le délire et le nulle part.
Le statut de pair aidant risque de continuer l’ écrasement de cette polysémie du travail avec la folie et du travail des fous. En statufiant cette fonction soignante portée, en partie, par les patients, il marque d’une certaine façon le déni de cette possibilisation. Il détourne et instrumentalise la mise en visibilité de ce travail de care fait par des chercheurs engagés dans un travail de désaliénation sociale.
Qui sera choisi pour advenir à un tel statut socioprofessionnel ? Serait-ce la réapparition des « bons malades », les plus obéissants, les plus travailleurs et les plus compliants aux normes, ceux qui touchaient le pécule le plus élevé ?
Un tel projet de statut professionnel sous-payé extirpant du collectif cette fonction soignante qui se devrait d’être généralisé, écrase la hiérarchie subjectale au profit d’une hiérarchie objectale de contrôle et d’assujettissement aux nouvelles normes du bien-être psychosocial.
P. Bichon