Dès le 2 mai 2021, en pleine pandémie, suite à une rapide mobilisation lors du Rassemblement à l’AERI-Montreuil – à l’initiative de l’Appel des appels, Collectif des 39 et le Printemps de la psychiatrie – réunissant 700 personnes issues des collectifs, associations et collèges professionnels, associations des patients, organismes représentatifs de familles, organisations syndicales et citoyennes[1], la décision a été prise de saisir le Conseil d’État afin d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues[2] exerçant auprès des Plateformes de coordination et orientation, qui réduisait leur intervention aux seules pratiques cognitivo-comportementales.
Aux côtés de notre Requête en annulation[3] trois autres requêtes ont été déposées[4]. Cette riposte juridique traduisant une large détermination à édifier un barrage contre l’attaque technocratique imposant par les prescriptions normatives un choix réducteur des méthodes et pratiques dans le champ des soins psychiques.
Lors de l’audience publique du 18 mai dernier le Rapporteur public avait souscrit à l’argumentation que nous avions développée, qui tendait à démontrer que les ministres ne sont pas autorisés à définir « l’expertise spécifique » des psychologues et, à cet égard, les ministres ne pouvaient complètement subordonner l’intervention des psychologues dans le parcours de soin au respect des bonnes pratiques de la HAS. Il a proposé aux Juges du Conseil d’État d’annulerl’article 2 de l’arrêté pour incompétence : une réussite stratégique de notre riposte.
Contre toute attente, dans la décision du 15 juin dernier des juges du Conseil d’État ont entendu de façon beaucoup plus large la notion d’«expertise spécifique » et ont jugé que « En définissant ainsi l’expertise à détenir par la maîtrise et la connaissance d’outils se rapportant à certaines approches devant être mises en œuvre par le psychologue lors des interventions précoces prises en charge, l’arrêté attaqué, qui n’a pas été pris sur le fondement de l’article L. 2135-1 du code de la santé publique, peu important que celui-ci soit visé, n’a pas excédé la compétence qui lui est attribuée par le 3° du III de l’article R. 2135-2 du code de la santé publique. »
L’analyse ainsi faite neutralise fortement la portée de l’article 2 de l’arrêté puisqu’il doit être lu comme listant, en référence à l’annexe, les pratiques que doivent maîtriser, au titre de leur expertise, les psychologues intervenant dans le parcours de soin. Implicitement, cette interprétation neutralise également notre moyen tiré de ce que l’arrêté rendait de facto obligatoire les recommandations de la HAS, en contradiction avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’État.
S’agissant du bien-fondé de l’arrêté, le Conseil d’État a également rejetés nos arguments : l’argumentation sur la violation des dispositions relatives au titre de psychologue (pt. 8), et sur l’atteinte à la liberté professionnelle du psychologue ainsi qu’à l’égalité entre les patients (la question étant de savoir si des patients traités par les méthodes non recommandées par la HAS peuvent bénéficier d’un remboursement par l’assurance maladie au même titre que ceux traités par les méthodes recommandées par la HAS) (pt.9). Enfin, le Conseil d’État a écarté l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir dans la détermination des pratiques thérapeutiques (pt. 10), ainsi que l’atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la loi (pt. 11).
Selon notre avocat, « alors que dans la majorité des cas, les conclusions du rapporteur public sont suivies par la formation de jugement, la décision rendue contre le sens des conclusions entendues à l’audience publique est certainement le signe de positions divisées au sein des membres du Conseil d’État, la solution retenue étant loin d’être évidente ». Elle contribue à la destruction des pratiques, des dispositifs de soins et statuts professionnels et véhicule une vision réductrice de l’humain et de l’enfance qui a envahi notre société.
Cette décision implique plus que jamais une mobilisation de l’ensemble des soignants décidés à défendre les soins psychiques et les valeurs humanistes qui les ont engendrés. En conséquence nous étudions toutes les suites que nous pourrions donner, de différentes manières, à cette triste affaire.
Le 17 juin 2022
Appel des Appels, Collectif des 39, Printemps de la psychiatrie
Pour information : les moyens financiers, fruits de la cagnotte lancée par les 3 collectifs, ont pu couvrir les frais de notre démarche. L’excédent va être réparti entre les 3 collectifs, afin de pouvoir être mobilisé par la suite.
[1] Appel des Appels, Printemps de la psychiatrie, Collectif des 39, SNP, SUIEERPP, FFPP, Inter- collège Psychologues PACA, Collectif POP, Collectif Grand Est, Fédération CMPP Bretagne, FDCMPP, Collectif CMPP N-A, Humapsy, La Main à l’Oreille, RAAHP, Le Fil Conducteur Psy, API, Stop-DSM, CEMEA, Albert Ciccone, Pierre Delion, Roland Gori, …
[2] Article R. 2135-2 du code de la santé publique
[3] Portée pour les 3 collectifs par Delphine Glachant (PPsy), Fabrice Leroy (AdA) et Martin Pavelka (C39) et défendue par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation.
[4] La requête de Association des psychologues freudiens, la requête du Syndicat CGT-APAJH33 et la requête portée conjointement par le Collège des psychologues de l’ARISSE, l’association Collège des psychologues de l’APSI, le Syndicat national des psychologues (SNP), l’association Séminaire interuniversitaire européen de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUERPP), l’association Quelle hospitalité pour la folie, l’Association des psychologues de la Fondation Vallée, l’association Figures psychodramatiques, la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées et l’association Espace résilience.