>Home, où l’homme trouve-t-il sa maison ?

 

Intervention à Grenoble au MC2 le 20 Novembre 2010

 

"La psychiatrie est dans l’errance."

 

 

Presque 10 ans se sont écoulés depuis la parution du fameux  Rapport Piel et Roelandt de juillet 2001 qui  suscita de larges débats au sein de la profession, promettant la mort de l’Asile et permettant aux pouvoirs publics de se réapproprier l’idée du « progrès psychiatrique. »

 

Reprenant à son compte le slogan qui fit les beaux jours de l’antipsychiatrie, l’Etat se fit alors le promoteur d’une nouvelle utopie thérapeutique. (Fermeture des lits et redéploiement, euphémismes)

 

Dans un contexte social et politique en mutation, face à une exigence croissante tant des «  usagers », de l’ensemble des acteurs de la «  santé mentale » que des pouvoirs publics, des enjeux théoriques, politiques, économiques et sociaux furent à l’œuvre pour surdéterminer les propositions concrètes. Fermer l’Asile.

 

Une question sociale est restée en suspens : sommes nous en train d’assister à la fin de la psychiatrie ou à la naissance d’un nouvel ordre psychiatrique ?

 

Le psychiatre serait cantonné dans le champ hyperspécialisé du fonctionnement de l’activité cérébrale et des comportements, prise en charge dans les unités des CHU,  alors que la folie ordinaire serait laissée aux travailleurs sociaux (qui ne savent pas quoi en faire…)

 

An nom de principes généreux de ne pas identifier la personne malade à ses troubles mentaux (un « psychotique » comme un «  diabétique »…) est proposé une division entre : 

 

— La personne sans trouble psychotique (pour le travailleur social) et

— Les troubles psychotiques pour le psychiatre.

 

Cette idéologie sous-entend qu’on peut se débarrasser des troubles mentaux, aboutir à un être sans trouble mental qui s’épanouit dans un «  état complet de bien être physique, psychique et social » !

Or les troubles mentaux existent, de tout temps, demeurent encore et nous nous retrouvons aujourd’hui avec des personnes qui ne sont pas entendues du côté du trouble mental.

 

Les psychiatres ne sont pas pour rien dans cette dérive et commencent, à réaliser que cette dérive n’a peut-être pas que des finalités économiques.

 

La psychiatrie, dans l’errance, a donc a nouveau besoin de l’Asile ! Mais pas de n’importe quel asile. Certainement pas celui qui enferme, isole , abrutit et oublie , mais un lieu d’accueil, d’écoute et de partage organisé par un discours de soins.

 

Un Asile en forme de Home.

 

« Home is where we are going from » nous dit le poète Yeats.

Et ce double mouvement, trouver son Home pour pouvoir ensuite le quitter est tout l’enjeu d’un véritable  travail clinique et thérapeutique.

 

A l’encontre de la psychiatrie actuelle dominante (sans subjectivité, qui impose aux infirmiers d’appliquer  des protocoles, aux patients d’avaler des médicaments pour réduire les symptômes) à l’hôpital de jour de la MGEN, que j’ai l’honneur de diriger sur le plan médical, nous nous sommes positionnés depuis toujours en appui sur la théorie de la Psychothérapie institutionnelle, c'est-à-dire que nous pratiquons une psychiatrie du Sujet, de la responsabilité et de la créativité.

 

Nous affirmons que le symptôme, loin d’être un corps étranger à éliminer par la force, est un savoir, intime, singulier et qui demande à être accueilli pour être lu et déchiffré.

 

Nous accueillons donc les Sujets avec leurs symptômes et nous leur proposons un lieu de rencontres, médiatisé par la parole (de chacun, celle qui engage), la vie collective ( à reprendre avec ses responsabilités, progressivement) et les moyens d’expressions les plus divers ( artistiques, artisanaux, corporels,etc)

 

Parfois nous proposons seulement un lieu pour se poser, à l’abri.

 

Il s’agit  de redonner un lieu d’adresse à celui qui l’a perdu (ou parfois même jamais trouvé).

Ce qui donne à ce lieu ses vertus thérapeutiques repose sur quatre notions importantes :

 

– Ce sont les liens que nous tissons entre nous qui font le lieu. (Et non pas les murs…même si ceux-ci gagnent à être architecturés dans l’idée du soin, de la circulation et de l’accueil)

 

-C’est le discours qui circule dans l’institution, discours de Savoir trou é, non totalitaire, qui permet à chacun d’y trouver sa place, ses liens avec les autres.

 

-L’intérieur et l’extérieur de ce lieu doivent rester nouer, en continuité, et ne pas isoler l’intérieur de l’extérieur. (Ce n’est pas tout cocoon dedans tout hostile dehors) et nous structurons nos activités thérapeutiques avec ces principes.

 

-la créativité, l’inventivité de chacun sont sollicités, favorisés, attendus, cela vaut pour les soignants comme pour les soignés. L’imprévu, l’inattendu, le désir peuvent trouver alors une place, et la jubilation qui les  accompagnent.

 

  1. Demeurent malgré cela bien des difficultés :

 

La clinique des psychoses, dans le transfert, dans la relation médiatisée, peut néanmoins nous placer en face de résistances à toute épreuve, opposant à notre désir ses forces de replis et d’isolement.

 

Un temps long est alors nécessaire pour constituer la confiance et l’abri,  et puis ensuite encore un temps long pour accompagner  vers une possibilité de sortie qui ne soit pas abandon  et de nouage de liens à l’extérieur de l’hôpital.

 

La psychose sociale d’aujourd’hui (individualisme, petite paranoïa quotidienne, performances requises…) ne nous facilite pas la tâche…

 

Je conclurai donc en vous disant ceci : A l’accueil de notre propre folie, de notre propre étrangeté, nous sommes tous invités !

 

Le travail alors, en appui sur un désir profond et fécond nous réservera bien des surprises et peut-être même un Home !


MP Deloche.

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4 réflexions sur « >Home, où l’homme trouve-t-il sa maison ? »

  1. " (Ce n’est pas tout cocoon dedans tout hostile dehors)"
    "La psychose sociale d’aujourd’hui (individualisme, petite paranoïa quotidienne, performances requises…) ne nous facilite pas la tâche…"
    Ben oui pas facile, mais merci d'essayer.

  2.  
     le sfumature, non ci sono piu ! (il n'y a plus de nuances)
     
    je lis votre article et notamment le paragraphe :
     
    "Reprenant à son compte le slogan qui fit les beaux jours de l’antipsychiatrie, l’Etat se fit alors le promoteur d’une nouvelle utopie thérapeutique. (Fermeture des lits et redéploiement, euphémismes)".
    Qu'est ce pour vous" l'anti psychiatrie" et ses beaux jours ?
    Ah! les beaux jours !
    D' après Elias Canetti dans "masse et puissance" , le mot "slogan" aurait des origines Celtes : littéralement : "le cri de l'armée des morts".
    Remémorations,réminiscences dans un discours ! prosopopée et illusions …
    Ecoutez l'hommage à jean Moulin prononcé par A.Malraux !
    J'ai écouté à Nice Tosquelles parler de psychiatrie de guerre en Espagne et de soins locaux à la strychnine !
    Qu'est ce qu'un discours politique ?
    Basaglia ne serait-il plus dans notre mémoire qu'un "anomal utopique" ?
    N'oublions pas aussi que pour faire passer "sa"loi il a du compter sur… la Démocratie Chrétienne Italienne . La loi a été promulguée ..sans financement et avec peu de décrets d'application …..Bonnafé l'a souvent dit.
    Il s'agit alors de mascarade politique ……
    La mascarade est à son comble après le drame de Pau lorsqu'un Individu politique , pourtant avocat de formation, s'est indigné du non lieu ( à statuer) pour le malade reconnu irresponsable ; allant même jusqu'à dire" s'il y a non lieu, c'est comme si cela n'avait pas eu lieu"!….
    Jeu tragique sur un (non) lieu , un topos pour séduire  la foule qui s'émeut ….
    C'est plus facile que de rappeler l'article 122-1 du code pénal.
    Souvenons nous des pionniers ; par exemple ceux qui créèrent l'ASSEPSI, association loi de 1901 en 1978  "dans le but de promouvoir et de faire connaître les expériences novatrices en matère d'aide aux psychiatrisés ou handicapés sociaux".
    J'ai sous les yeux "l'annuaire des tructures intermédiaires 1982-1983" et un appel au "5°journées d'études et de formations de l'ASEPSI" en Novembre 1983.
    Dans l'argumentaire de cette journée sur "les lieux où l'on vit . Libertés , contrôles, thérapeutiques  en son domicile" étaient déjà repérée
    …. "l'emprise des systèmes de contrôles ou de répression sur le domicile privé"…
    C'était en 1983 .

  3. Le problème en segmentant la personne (ceci pour le psychiatre, ça pour le psychologue, ça pour le social), c'est qu'on oublie totalement que la thérapie se joue sur une rencontre, une relation de confiance, qur le long terme. Ce n'est pas interchangeable.
    J'ai été suivié un moment par un psychiatre et un psychologue. En-dehors du fait que ça a été une catastrophe avec les deux, je trouve que c'est une mauvaise solution. Comment un psychiatre peut-il adapter un traitement sans écouter son patient? Je me suis rendu compte après deux ans qu'en fait mon psychiatre ne me connaissait pas du tout. Et on me disait souvent "ça il faut le dire à tel psy et pas à moi". Il n'y a pas les médicaments d'un côté et la parole de l'autre. Pour moi, les deux vont ensemble. Je m'en suis sortie quand j'ai rencontré une psychiatre en qui j'avais confiance, avec qui j'avais une relation sincère. On voyait tout ensemble, le côté psychologique, et donc forcément les médicaments, les effets secondaires et même les blessures physiques (automutilations). Aavant, je devais me dire est-ce que j'ai dit ça à mon psychiatre, ah non c'était le psychologue, et mes automutilations personne ne les regardait. Je ne peux pas aller montrer mes blessures à mon généraliste, parler à mon psychologue et demander des ordonnances et parler des effets secondaires à mon psychiatre, pour moi ça n'a aucun sens, tout va ensemble.

  4. " …Reprenant à son compte le slogan qui fit les beaux jours de l’antipsychiatrie, l’Etat se fit alors le promoteur d’une nouvelle utopie thérapeutique. (Fermeture des lits et redéploiement, euphémismes)… "
    On appelle cela hélas, une "dystopie"…
    Bien crdlmt MP
     

Les commentaires sont fermés.