Depuis une vingtaine d’années, les ordinateurs sont entrés dans le quotidien des soignants en psychiatrie et plus largement dans tous les domaines de la santé. Cela dans un contexte de dégradation continue de la qualité de l’accueil des patients et des conditions de travail des soignants. Cet accroissement exponentiel des outils numériques est vanté comme un signe de « progrès, technologique» qui promet une « amélioration de la qualité des soins » (Agnès Buzyn, 2018).
Loin d’être un progrès, l’informatisation est utilisée comme le vecteur d’une gestion comptable de la santé avec la mise en place de la Tarification à l’Acte (T2a) entrainant des dommages que nous constatons pour les hôpitaux généraux. La pandémie du COVID-19 a révélé l’ampleur de la dégradation du système public de santé résultant des politiques d’austérité.Depuis le début des mesures de confinement liées au COVID-19, les directions des établissements de santé, du social et du médico-social invoquent une remise en cause des financements si les services ne saisissaient plus d’actes pendant cette période.
Pour pallier ce risque, certaines directions se sont empressées d’ajouter la case « télétravail » sur le logiciel de Recueil d’Information Médicale en Psychiatrie (Cortexte, Cariatides, etc.)
Le Gouvernement se félicite à longueur de temps de la généralisation du télétravail qui permettrait de sauver l’économie du pays pendant et après la crise du COVID-19. Ce faisant, on banalise le recours aux nouvelles technologies induisant en santé une dématérialisation de la relation soignant-patient et renforçant la surveillance. La généralisation du télétravail, accentue en fait l’isolement des soignants alors que rien ne peut remplacer « une présence en chair et en os » (Pascale Molinier, 2020) dans les métiers du soin comme dans bien d’autres domaines centrés sur l’humain.
L’enquête militante sur les logiciels de recueil de données en Psychiatrie, conduite par la Commission contre les Outils Gestionnaires du Printemps de la Psychiatrie en avril 2020, a montré comment ces données permettent de renforcer et d’accélérer le processus de marchandisation de la santé y compris de la santé mentale, en passant par une multiplication des partenariats public/privés qui œuvrent notamment à la création de nouveaux produits d’e-santé mentale.
En saisissant des informations dans les logiciels tels que Cortexte, Cariatide, Osiris, les soignants contribuent au Recueil d’Informations Médicales en Psychiatrie (RIM-P) qui fonctionne sur le même mécanisme que la Tarification à l’acte. Dans les faits, ces outils numériques constituent le bras armé des politiques à l’origine des mesures d’austérité, de valorisation marchande et de réduction du sujet à ses neurones ou à sa chimie. Cette déshumanisation progressive du secteur conduit à l’uniformisation et à l’appauvrissement des pratiques avec la remise en cause de la singularité de l’exercice de chaque professionnel. La saisie de ces actes imposés est clairement au service d’une gouvernance par les chiffres préparant la transition vers un système de tarification standardisée en psychiatrie qui devrait être mis en place à partir de janvier 2021.
Cette gouvernance a des effets directs et délétères depuis de nombreuses années dans tous les secteurs. Ainsi, à l’instar des logiciels de recueil de données en Psychiatrie, les logiciels des secteurs du social et du médico-social (Solis, Simez, PEPS+, Seraphin-PH ou encore COSMOS…) balayent tout questionnement éthique et conduisent également à une uniformisation des pratiques individuelles et singulières de chaque professionnel.
Nous appelons toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement toute la société, à soutenir l’appel que nous lançons dès à présent pour combattre les dangers que représente la prolifération des outils informatisés pour les libertés individuelles et la qualité des soins et de l’accompagnement social. Le soutien des organisations syndicales et politiques, des associations professionnelles, des collectifs militants est déterminant pour amplifier notre action et nous permettre de reconstruire ensemble un futur différent dans le champ du soin et de l’accompagnement social, en rupture avec les politiques menées par le désordre néolibéral.
Le collectif du Printemps de la Psychiatrie et les signataires de ce communiqué appellent les secteurs de la santé, du social et du médico-social à :
▶ Cesser dès à présent de coter les actes comme cela est déjà le cas l’hôpital général avec le Collectif inter-hôpitaux (CIH) : la santé n’a pas de prix, le temps accordé aux soins et à l’accompagnement social non plus.
Tout le monde peut comprendre que passer un pourcentage important de temps à rendre des comptes via un logiciel informatique est « une perte de temps » au détriment de l’accès aux soins et à un accompagnement social.
▶ Informer massivement les patients et les familles de leur droit à refuser le Dossier Patient ou social Informatisé.
Tout patient ou toute personne accompagnée a le droit de refuser la création de son Dossier Patient ou Social Informatisé et la saisie de ses données dans le cadre du respect de l’anonymat conformément à la loi.
▶ Redonner de la liberté et de la puissance d’agir aux collectifs de soins et d’accompagnement dans les lieux de prise en charge de la santé, du social et du médico-social (patients, familles, soignants et citoyens).
La logique du soin et de l’accompagnement social doit l’emporter sur les logiques gestionnaires. Le pouvoir administratif et gestionnaire doit être subordonné à cette logique et non l’inverse.
▶ Se mobiliser massivement afin d’empêcher que la crise du COVID-19 serve d’alibi pour le renforcement et l’accélération des réformes gouvernementales.
L’accentuation des pratiques qu’impose la gestion de la crise du COVID-19 ne doit pas déboucher sur le renforcement du contrôle social et des populations et à la dématérialisation du soin et de l’accompagnement social, légitimant les politiques de restrictions budgétaires qui conduisent inévitablement au formatage et à l’appauvrissement des pratiques.
Au lieu d’une célébration hypocrite de l’héroïsme des “premières lignes” et d’un appel à la résilience des français, nous exigeons la “résiliation“ de toutes les politiques publiques à caractère anti social, gestionnaire et financier.
Construisons dès maintenant la « grève » des données informatisées en psychiatrie, en social et médico-social et engageons l’opération « déconnexion » de la mise en œuvre des politiques néolibérales qui dégradent la qualité des soins et des accompagnements.
Premiers signataires de l’appel :
- Collectif des 39
- Rencontres Nationales du Travail Social en lutte
- Collectif de la pédospy du 19ème
- Union Syndicale de La Psychiatrie
- Le Fil Conducteur Psy
- Collectif des Semaines de La Folie Ordinaire Francilienne
- Collectif Ecran Total Paris
- CGT CEPFI
- Collectif ACTION SOCIALE CGT 91
- Délégation France insoumise au Parlement européen
- NPA