Le Collectif des 39 souhaite réagir à la création à l’Education nationale du nouveau Conseil scientifique par le Ministre J.M. Blanquer, avec à sa tête le Professeur Stanislas Dehaene, spécialiste de psychologie cognitive, et médiatique promoteur des neurosciences.
Ce Conseil scientifique est d’une seule couleur théorique, uniforme et donc réductrice. Blanquer et Dehaene veulent imposer dans l’enseignement une nouvelle pédagogie « fondée sur les preuves » statistiques, à l’image de ce qui se pratique en médecine (Evidence Based Medecine), et que depuis de nombreuses années nos gouvernements successifs tentent d’imposer à la psychiatrie… Pourtant, les résultats de la science statistique peuvent-ils vraiment être directement appliqués, sans recul, ni possibilité de remise en question ? On sait que le moteur de toute(s) science(s) est la capacité de (re)mise en question, de doute fondamental et méthodologique, et que les « bons » résultats d’aujourd’hui constituent parfois les erreurs du lendemain…
La diversité – qui fonde la richesse – de nos expériences nous permet d’alerter sur ce défaut de pluralisme. Pluralisme qui devrait toujours présider à la conception d’une instance éducative, qu’elle soit, ou non, issue des recherches dites « scientifiques ». L’appauvrissement des points de vues augmente nécessairement les risques – que nous avons déjà vu se réaliser en psychiatrie par l’intermédiaire de la Haute Autorité de Santé – tels le lobbying et les conflits d’intérêts, en lien avec la commercialisation des dites « bonnes méthodes »…
Nous avons déjà dénoncé* combien cette « HAS » est un outil dévastateur du soin en psychiatrie et combien les liens de subordination entre administration et pratique clinique sont toxiques tant pour les soignés que pour les soignants ! Quant à la connivence entre science et politique, l’histoire nous a appris qu’elle est fondamentalement dangereuse, et que sa légitimité doit être sans cesse questionnée.
Enfin, ce rétrécissement conceptuel favorise l’expansion des diagnostics de « handicap » et la stigmatisation de toutes les formes de développement ou d’apprentissage des « vrais enfants » qui échappent aux normes des « enfants statistiques » utilisées par l’ « evidence based education » (EBE) ou « evidence based medecine » (EBM).
Comme cela est souvent le cas, c’est en se parant de « neutralité scientifique » ou d’« apolitisme théorique» qu’un mouvement, ici les neurosciences cognitives, déploie un projet précisément politique. Celles-ci se sont implantées dans les instances du pouvoir, et ont réussi à le prendre, en excluant, et/ou en laissant apparaître comme « mineure », toute autre approche que la leur, aussi bien en ce qui concerne la pertinence « théorique » que « pratique ».
Traiter de la rapidité du déchiffrage dans la lecture pour conclure que les sciences cognitives indiquent la bonne méthode sans prendre en compte les éléments du contexte socio-culturel des enfants et les expertises pédagogiques des enseignants, c’est nier non seulement toute dimension plurielle, mais c’est aussi nier la complexité de cet apprentissage, c’est nier la réalité de la vie.
Dire que l’importance de « l’imaginaire » dans le développement de l’enfant n’est pas avérée simplement parce qu’il n’est pas un champ exploré par les sciences cognitives (manque de données statistiques), c’est évacuer d’emblée une des dimensions essentielle de l’être humain : la rêverie, la création, l’inconscient…
Voulons-nous d’une école ECOLE-IRM, où les différences culturelles et sociales, tout comme le psychisme et l’inconscient, ou l’imaginaire et la singularité, s’effacent et disparaissent derrière l’hypothétique robot d’un cerveau machine ?
La déshumanisation statistique préparerait-elle les patients de demain ?
*Meetings des 39 du 1er novembre 2014, et du 16 octobre 2016
Communiqué du SNUipp: https://www.snuipp.fr/actualites/posts/conseil-scientifique-imposer-des-pratiques
Appel du SNUipp ici :