Rencontre avec les luttes auto-organisées de Thessalonique

La construction d’’un Réseau Européen de Santé Mentale Démocratique faisait étape à Thessalonique, en lien avec le séminaire du CEDEP sur le thème du Refuge du 24 au 28 mai.

Le jeudi 24 a été le moment de 2 rencontres avec le DSS et l’’entreprise VIO.ME.

Le Dispensaire Social Solidaire

Installé au 4ème étage d’un immeuble qui appartient à l’Union Locale des Syndicats, le Dispensaire Social Solidaire est le lieu où nous sommes accueillis par Anastasia, psychologue, et Byron, psychiatre (à la retraite), qui nous présentent le DSS dans la salle d’’attente des patients.

Le DSS a été créé en 2011 par les médecins, d’autres professionnels de la Santé et des militant-e-s antiracistes qui sont intervenus lors d’’une grève de la faim qui a mobilisé 50 migrants-réfugiés à Thessalonique (250 à Athènes). Cet engagement politique s’’est poursuivi dans la crise d’’une dette grecque illégale, illégitime et odieuse, du système banquier grec et international, transformée par la Troïka européenne en dette publique et en une série de mémorandums d’’austérité qui frappent l’’ensemble du peuple grec et en une crise humanitaire qui va croissante. Ce groupe de médecins fait face à des problèmes sociaux et de rupture des droits communs qui font apparaître : être au chômage, perdre ses droits et au mieux un travail mal payé. La situation s’’aggrave d’’année en année.

Le DSS s’auto-organise pour permettre l’’accès aux soins qui est drastiquement réduit avec les gouvernances d’’austérité des services publics en perdition. Il rassemble aujourd’hui  200 intervenants : médecins généralistes, dentistes, psychiatres, collaborateurs d’’autres spécialités ainsi que des psychologues et des psychothérapeutes. Il dispose d’’un dépôt de médicaments. Un secrétariat fait la coordination. Une AG de tous les soignants se tient tous les 15 jours, avec entre-temps des groupes spécialisés. L’’interprétariat pour les réfugiés est issus de ceux-ci ou est fait par connaissances militantes. Si ce système fait apparaître la souffrance des interprètes, il a l’effet de faire entendre que quelque chose se passe.

Ses moyens de fonctionnement sont le produit de dons qui viennent de la société et de toute l’’Europe (en particulier l’’Allemagne), car le DSS refuse tout financement de l’’Etat, de fonds européens et de l’Eglise.

Une loi, préparée par le Parlement grec dès le printemps 2015 avant la capitulation et le virage néolibéral de SYRIZA, dans la ligne du programme électoral initial de ce parti et rendue autant que  possible inclusive grâce aux interventions des député-e-s de l’aile Gauche, autorise l’accueil dans le Service public de Santé de la majorité de celles et ceux qui en avaient perdu l’accés sous le gouvernement droite-socialistes, notamment des chômeur-se-s de longue durée. Dans ce nouveau cadre toute personne en résidence légale sur le territoire, en possession d’un numéro d’identification unique ainsi que les personnes sans documents mais en situation de vulnérabilité, peuvent accéder gratuitement à un certain nombre de services médicaux dans le public et le privé subventionné. Mais ces services ne couvrent pas l’ensemble des besoins essentiels, notamment pas les médicaments, et  l’obtention de ce numéro n’est pas automatique. Avant la validation de cette loi  500 personnes venaient au DSS, aujourd’hui 250. L’’activité du DSS développe une information face à un désordre de la demande : personnes non reçues à l’’hôpital où qui viennent parce que c’’est plus rapide et/ou plus « humain ». Le DSS participe également aux manifestations contre les refus de soins, en se déplaçant avec les patients, les médecins, les réfugiés et leurs soutiens.

La crise a fait apparaitre de nombreux groupes de patients, certains radicaux d’’autres en lien avec l’’Eglise et le caritatif. Le DSS et ses soutiens sont présents dans les manifestations comme les occupations du Ministère de la Santé en 2015 et 2016. Ailleurs une action a été menée dans un foyer pour enfants handicapés psychiques dans le Péloponnèse où les enfants étaient enfermés en cage. Cette « institution », financée en partie par l’’UE, n’avait jamais remis en question ses pratiques, malgré les dénonciations au Parlement Européen, jusqu’en fin 2014 où un collectif militant de personnes handicapées l’’a occupé et a publié dans la presse des photos.

Dans l’’échange avec notre délégation (15 personnes, dont nombre de participants au séminaire CEDEP), des contenus de soins apparaissent, comme la pratique de groupes familiaux en thérapie. A la question de la pratique d’’accueil, il apparait que le secrétariat est le point le plus sensible, qui éponge toutes les angoisses des personnes qui viennent consulter. Composé de 2 secrétaires et d’1 pharmacien, elle pose un véritable problème.

Nos amis grecs soulignent actuellement le peu de participation des patients à la vie du DSS après une première période où ceux-ci participaient à l’’AG, phénomène qui aujourd’hui touche également les soignants. Au départ, la société grecque était investie, mais il ne reste actuellement que des patients politisés où qui se sont politisés dans la crise qui viennent soutenir et participer aux manifestations. Il apparait la question des mentalités à changer pour arriver à se passer de la multiplication des prescriptions. La question des effets psycho-traumatiques de la crise qui clivent chacun dans sa demande de réconfort n’’est pas abordée. Aujourd’hui une action de changement des mentalités et représentations communes est une des tâches du DSS, tout en soulignant que l’’accueil solidaire « fatigue ».

La Santé Mentale a connu, après la période de la lutte contre le bagne de Leros dans les années 80,  une réforme de secteur et la sortie de la psychiatrie hors de l’’asile carcéral.  Ce cours s’’est inversé dès 2010, avec le rétablissement de « l’’interdiction de sortir ».  Actuellement, l’’hôpital de Thessalonique est menacé d’être absorbé dans l’Hôpital général. Pour l’instant seul le panneau de l’entrée a changé, la structure institutionnelle de l’ancien HP étant restée intacte, mais on nous fait remarquer que même cela constitue un progrès. L’’échange final rassemble pour dire que le travail à faire est de faire sortir de l’’asile et de l’’enfermement, tout en valorisant un droit d’’asile protecteur pour tous grecs et réfugiés. Ces derniers utilisent actuellement toutes les possibilités d’’asile, y compris par la demande au médecin d’un certificat pour obtenir l’’asile, un Refuge.

VIO.ME.

C’est à 4 que nous allons sur la zone industrielle de Thessalonique, dans un taxi qui s’’y perd, à moins que le chauffeur ne soit pas emballé par le but de notre voyage. Il nous dépose à un carrefour et c’’est par téléphone que nous trouvons les camarades de VIO.ME. Accueilli par le piquet de protection du site, nous entamons une visite-débat de l’’expérience d’’autogestion de l’’usine.

Celle-ci a démarré quand la propriétaire a cessé de payer ses salariés et tous ses autres créanciers. Occupée par ses ouvriers et techniciens, qui décident de la remettre en marche par une nouvelle production : savon, produits vaisselles et de lavage, avec l’’aide d’’ingénieurs chimistes. La lutte est en même temps une série de mobilisations qui s’’opposent à la vente aux enchères du terrain de l’’usine. Le projet autogéré emploie aujourd’’hui 24 personnes qui se payent au niveau des indemnités chômage qu’’ils auraient perçues. À préciser ici qu’en Gréce les indemnités chômage sont perçues pendant seulement un an. Le salaire est le même pour tous. Une AG pilote l’’auto-organisation.

Expérience autogestionnaire significative, elle a été le lieu de réunions internationales, et un point de ralliement pour plusieurs mouvements populaires de base: antiracistes, anti-extractivistes (contre l’installation de mines d’or dans le Nord de la Gréce), de   défense des biens communs et de lutte des travailleurs contre les licenciements. Plusieurs manifestations culturelles ont eu lieu dans ses locaux. Dans l’espace de l’usine a été installé un dispensaire « ouvrier » de soins médicaux. Il offre des soins non seulement aux travailleurs de l’usine occupée mais aussi aux habitants de la zone environnante. Une permanence téléphonique fonctionne tous les jours et des médecins sont présents deux fois par semaine. Dans le Dispensaire ouvrier nous observons des locaux bien organisés ainsi que des appareils médicaux (électrocardiographe et échographe) prêts à fonctionner. Ils ont été offerts par des collectifs solidaires français. Dans les espaces de VIO.ME. existe aussi un espace de récolte et de tri de vêtements destinés aux réfugiés ainsi que quantités de matériel paramédical et orthopédique destinés à des structures de soins et à la population. La vitalité militante de ce lieu est une contestation quotidienne concrète de l’appropriation des moyens de production par le capital. C’est pour toutes ces raisons que les travailleurs et le mouvement populaire local est attaché à la poursuite de l’occupation. En fait, il a été proposé à ces travailleurs, par les autorités gouvernementales de  continuer leurs activités​ de production dans un autre lieu. Cette proposition n’est pas acceptée car elle ôterait au projet son contenu politique anticapitaliste. Il est toutefois assez surprenant d’apprendre que le projet de VIO.ME. n’est pas soutenu par les majorités syndicales grecques, alors​ qu’il trouve du soutien auprès de beaucoup d’ouvriers organisés du monde entier. Il est moins surprenant d’apprendre qu’il n’existe pas de projets similaires dans d’autres usines grecques, compte-tenu des obstacles politiques et légaux  et des problèmes de survie quotidienne auxquels est confrontée la classe ouvrière grecque. Son activité de vente actuel est un réseau  solidaire en Grèce (avec un point de vente à Athènes) et à l’’étranger.

Nous décidons d’’acheter des produits pour 150 euros afin de faire du séminaire du CEDEP qui commence le soir même une action de revente solidaire : 50c par savon qui feront au final plus de 500 euros attribués au DSS. Notre camarade Philippe s’’en fera un annonciateur au verbe talentueux pendant tout le séminaire. Solidarité concrète a ainsi été conjuguée avec le débat sur le thème du Refuge comme échanges pratiques et théorie qui élaborent sur les rapports entre clinique et politique. Ce qui est le sens concret de notre Réseau Santé Mentale Démocratique Solidaire à construire sur le plan européen.

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