Texte de la présidente de l’association culturelle de Saint Alban
Pour ceux qui en doutent…
Bonjour à tous,
Tout d’abord une pensée émue pour Dalila Idir Val et Pascal Crété qui ne pourront être là, mais qui ont déjà pris date pour nos prochaines Rencontres.
Jean Jacques Lottin, Michel Balat, Philippe Chavaroche s’excusent de ne pouvoir être parmi nous cette année ainsi que Sophie Pantel notre Présidente du conseil de surveillance.
Nous avons également une pensée pour tous ceux, qui retenus par leur institution ne peuvent se joindre à nous.
Nous remercions le CHFT, le Directeur de notre établissement, le Conseil Départemental, le conseil Régional, la municipalité de Saint Alban, et toutes les personnes de l’institution qui nous ont donné un coup de main.
Et merci à tous, d’être là, aujourd’hui.
L’Association Culturelle du Personnel de St Alban tenait aussi à remercier Mr Alain Peyrefitte, ministre de l’information, qui dans l’édition du journal télévisé du 20 avril 1963, présente aux citoyens que nous sommes, la nouvelle formule du journal du soir. Il annonce solennellement que « cette nouvelle formule qui supprime les commentaires pour laisser parler seulement les images ou les faits ou alors des dialogues marquera un progrès vers l’objectivité et la dépolitisation. »
Dans les raies de ce langage se dessinent les labours lessivés d’une politique néo-libérale.
C’est l’image d’une folie déchaînée que nous tentons tous les jours d’enchaîner ;
Celle d’une fracture entre le savoir et la pensée, qui nous a fourni une idéologie clef en main ;
Celle de la dévaluation locale des savoir-faire en matière de culture du soin psychiatrique ;
Celle d’un jeu qui n’est plus possible.
Mais il ne faudrait quand même pas oublier, que c’est grâce au système libéral que nous avons pu marcher sur la tête des rois. Alors ne lui devons-nous pas un peu de gratitude ?
Tentons alors raisonnablement de rétablir les choses.
Pour ceux qui en doutent, à St Alban, nous travaillons dans un hôpital psychiatrique.
Et pour preuve, nous baignons dans un milieu ambiant logique, cohérent, ordonné, parfaitement adapté à la folie que nous sommes censés soigner.
Le reflet de ce travail est informatisé, son image est précise, évacuant les résidus de doutes possibles.
Alors quoi de plus rassurant, quand vous êtes hospitalisé en psychiatrie, au prise avec votre délire, que d’être pesé, mesuré, tant par la taille que par votre périmètre abdominal. Ces marqueurs s’inscrivent alors à côté de votre nom et prénom.
Nous nous rapprochons ainsi de plus en plus du soin, tel que la médecine dite purement scientifique et le système financier le définissent, car notre réflexion s’élabore de moins en moins, laissant place au raisonnement, à la déduction.
Ainsi, l’échelle de la douleur est un préalable fixe, devant contenir votre souffrance, même si cette dernière prend des envolées jusqu’à 10, nécessitant ainsi une médication bien spécifique et qu’importe qu’elle retombe à 0 une demi-heure plus tard, les médicaments eux, peuvent mettre deux jours à arriver.
Cette systématisation du système nous veut du bien, pourvu que tout reste en place.
Nous espérons ainsi obtenir une intensité nivelée des sensations, avoisinant la platitude d’un électrocardiogramme en bout de course.
C’est grâce à ce système hospitalier « propre » que nous pouvons obtenir nos certificats d’existence.
Voulez-vous des soins spécialisés comme tout le monde ? Vous dites oui, naturellement… Comment dire non.
Il est vrai qu’à force de ne pas comprendre ce que la psychiatrie pouvait bien raconter, d’utiles dispositions ont été prises ; ce qui a permis d’ailleurs au personnel de St Alban de rendre de plus en plus de travail….
Ce type d’action se réfère à la conservation complète d’un système durable et moderne.
L’amarrage des postes à un statut est un préalable fixe auquel il faut se tenir. Il se résume par la formule « être en poste », administrant par là, tout ce qui pouvait sembler être bordélique.
Cette stratégie sans complaisance met de l’ordre dans la pensée, loin des préceptes non recommandables de la psychanalyse qui vagabondent d’associations en associations….
La clarté de ce système que rien ne semble pouvoir ébranler, apparaît alors comme une érection permanente.
Rien d’étonnant que le besoin de maîtrise se fasse de plus en plus sentir, que les diverses tentatives de contrôles soient de plus en plus pressantes et que l’évaluation devienne une constante incontournable.
Le bon commencement est celui de nous considérer tous suspects, sans distinction aucune, afin de maintenir une apparence qui se modèlerait sous la forme de fortifications bodybuildées.
Alors inutile d’essayer de ne pas se sentir concernés, nous n’avons aucune amertume à avoir, personne n’y échappe.
Il est peut-être vrai que cela a toujours été, mais avec le concours du fichage informatique des personnes en demande – ou pas – de soins, la cadence s’est accélérée.
Rapidement, des grilles prédéfinies, au quadrillage de plus en plus serré, se sont mises en place, avec la collaboration active de soignants, pensant même parfois… éviter le pire.
Aujourd’hui nous en sommes à scanner des pièces d’identité, des livrets de famille, pour un suivi des plus opérant, tant pour l’individu, tant pour les équipes, tant pour l’établissement, tant pour…
Le fleuve s’écoule sans bruit au rythme d’AZERTY…
Le dossier ainsi informatisé ; s’en suit l’activité.
Heureusement, diverses cases sont créées et sans cesse améliorées. Ainsi bien rangé, le travail ne semble plus échapper. Une lutte de tous les instants s’engage, certainement déterminée par la peur de ce qui échappe. Inutile de penser à l’arrêt maladie ou à la fugue même si ces dernières sont en nette progression.
Mais, comment faire quand c’est l’existence de l’autre qui échappe ? Pas de panique, tout se maîtrise : mise en chambre d’isolement, contention physique ou médication outrancière…à variable conjoncturelle. Certaines personnes peuvent être « médiquées » jusqu’à ne plus pouvoir manger toutes seules ; puis voir leur traitement subitement diminuer, si par exemple, elles ont rendez-vous avec leur avocat.
Reste tout de même ces différences menaçantes…. Pourquoi ne pas les réduire à des fragilités individuelles ? Nous sommes ainsi tous concernés.
Et afin d’enrayer cette crainte d’engloutissement, quoi de plus naturel que de fournir un emploi du temps stable aux marges de manœuvres de plus en plus réduites en lien avec des activités thérapeutiques précises, prescrites, pensées à l’avance.
Une collègue nous rappelle souvent en réunion que « patients et soignants sont les deux facettes d’une même médaille ».
Cette surveillance accrue peut ainsi laisser le champ libre à la loi des habitudes, qui légifère notre quotidien, renforçant ainsi les défenses psychotiques du « rien ne doit bouger ».
Malgré tout, des imprévus et évènements continuent d’habiller nos institutions, et pourraient faire de nous des « êtres en devenir », alors pour endiguer et traiter ces phénomènes nous faisons appel aux « événements indésirables ». Il en fleurit d’ailleurs de toutes sortes : à l’encontre des patients, de culture à l’hôpital, ou de services à services…
Il semblerait que nous ayons enfin délégué le soin de traiter notre hôpital, à l’administration.
Elle utilise d’ailleurs des outils qui sont les siens, dont, entre autre, la sécurité, ce qui permet d’entretenir le risque et de le « marchandiser ». Dix pour cent de notre budget d’investissement est utilisé pour l’achat de caméras, installées à l’extérieur de certains services de soin.
Protection du dehors ; contrôle du dedans.
Dans cet univers cotonneux, l’agressivité se chuchote et sans nous en rendre compte, nous sommes confortablement coincés dans une relation d’autorité.
La loi des capitaux par exemple, est une réalité dont la seule alternative énoncée est l’acceptation. Le maintien à la baisse de notre ration financière, concernant les budgets thérapeutiques ou les supervisions, découle de ce postulat de base. Nous pouvons donc prédire sans état d’âme, qu’à terme avec la mise en place des GHT, les capitaux seront appelés à partir dans les services où ils vont trouver des conditions de profits les meilleures.
Avons-nous peur de comprendre… Tout autre discours est frein à la modernité, prônant un système vieillot, qui entretient une industrie de la dépendance.
Dans ces conditions, le fou a-t-il une quelconque légitimité à être ?
Parce que bien-sûr vous l’aurez deviné, quand on prend le parti pris de la gestion comptable, ce n’est absolument pas politique. Quand nos hôpitaux ne seront plus que système d’oppression d’autrui, ce ne sera pas politique.
La pseudo science aussi bénéficie d’un vaste prestige auquel nous ne pouvons que nous soumettre.
Les bonnes pratiques en sont le paysage affiché.
Le négatif de cette photo pourrait heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties. Sa diffusion est donc limitée à un nombre restreint, au nom d’un modèle d’avenir. Les rouages sont bien huilés, pas de soucis à avoir de ce côté-là, l’ARS s’esquisse comme une grande entreprise de blanchissage pour garantir nos bonnes pratiques.
Nous pouvons donc bien un peu nous asseoir sur une humanité rouillée ; et puis de toute manière, que pouvons-nous bien comprendre ; qu’en savons-nous ? N’y a-t-il pas une technicité des affaires sanitaires qui fait que personne ne peut gérer hormis lesdits spécialistes ?
Par chance, nous ne discutons plus, nous nous adaptons avec plus ou moins d’entrain, il est vrai.
Cela n’a-t-il pas toujours été ?
En effet, il ne suffit pas de sortir les outils de la Psychothérapie Institutionnelle, de les disposer autour de soi pour que celle-ci soit en marche.
Deux jambes, et pas des moindres pour avancer : psychanalyse et marxisme libertaire… il n’empêche que sans appui médical et administratif, les ouvriers de la psychiatrie et les patients avancent comme des taupes, à l’aveugle, en creusant des galeries.
Alors, où s’arrête la responsabilité du malade et de l’infirmier… ?
Et puis n’est-il pas plus simple de se cacher derrière des hiérarchies statutaires, de compétences ou d’activités ? N’y en a-t-il pas qui sont payés pour prendre ce genre de responsabilités ?
Et ne vous inquiétez pas, nous fermerons notre gueule en attendant notre paye dans notre hôpital aseptisé.
Les responsabilités amènent trop de critiques ; nous assumons déjà celle qui se confond avec le vocable d’assurance, embrigadé dans un système de prévention qui pourrait bien nous ensevelir si nous n’y prenons garde.
Pour illustrer cette belle pensée, rien de tel que quelques séparations…
Une d’entre elle fut murmurée à l’oreille de celle qui avait osé décliner par elle-même son désir de soignante. Son mandat associatif apparaissait soudainement incompatible avec son statut. Ces propos, tenus en pleine CME, étaient colorés d’un certain devoir de réserve, d’une séparation non forcée, juste largement encouragée.
La polyphonie est en peine si elle n’utilise pas les portes dérobées ; mais si nous ne sommes pas satisfaits, rien ne nous empêche de partir, comme d’aucun de la Direction des Ressources Humaines aime à nous le rappeler, laissant libre cours à toute sorte de clivage.
Et puis, pris comme nous sommes, en pleine course de fond, au milieu de nos plaintes qui nous donnent le vertige, à effectuer des mouvements effrénés, au pas de course sur une route balisée ; comment ne pas perdre pied ?
Mais ne désespérons pas, quand nous serons achevés de fatigue, le reste ira tout seul.
Nous pourrons alors trancher entre le jeu et le travail. Si les ordinateurs pouvaient nous soulager de l’effort, il ne nous resterait plus qu’à jouir sans avoir à peiner.
Nous pourrons aussi trancher entre la clinique et le politique. D’ailleurs dans le secteur de St Alban – c’est-à-dire tout le département -, cela commence déjà à se faire sentir. Certains patients sont désignés comme incurables, n’étant plus à leur place au sein de l’hôpital. En un mot, inadaptés. Dans cette ambiance, il nous semble alors évident que les conditions d’existence des personnes hospitalisées, sont le fruit de leur « anormalité ». Tout comme il sera bientôt évident que nos réactions sécuritaires, nos préventions hygiéniques soutiendront notre « normalité ».
Combien il est douloureux de nous savoir fragiles, labiles, précaires…cette réalité devient vite insupportable. Pourquoi ne pas la réduire en minuscules particules, la fragmenter afin de mieux l’expulser ?
Nous pourrons ainsi reconstituer une réalité nouvelle, toute puissante, un nouveau monde en quelque sorte…et tout se passerait comme si cette réalité n’avait jamais existé.
Ce serait un monde de chamailleries, avec une absence totale de débat, plein de politesses, de savoir vivre, de sympathies. L’accord général règnerait. La transmission du soin en psychiatrie se limiterait à du tutorat, les groupes de travail à des groupes d’accréditation.
Un monde sans imprévu, sans conflit.
Nous pourrions tout expliquer avant même que les problèmes ne se posent.
Une absolue justice par vœux de silence.
Notre désir d’altérité serait d’emblée confondu avec notre déficience de rationalité.
Notre étonnement, notre enthousiasme se distilleraient et c’est en perfusion que l’illusion serait alimentée.
Voilà en quelques mots ce monde de rêve dont nous sommes tous passagers, expulsant cette peur qui nous est propre.
Alors, enfermés dans la chaleur d’un silence accablant au milieu d’une jungle obscure, nous tentons de nous poser en victime de ce système, clamant ainsi notre innocence. « Ce n’est pas ma faute » ; « ce n’est pas mon problème » ; « c’est ce qui nous est demandé, nous n’avons pas le choix ». Les victimes innocentes ne sont pas coupables de ce qui leur arrive. N’ont-elles alors pas droit à une réparation ?
Celle par exemple, d’être exonérées de responsabilités.
Cette politique d’abandon de soi, nous fait oublier que la responsabilité est l’autre nom de la liberté, composante s’il en est, de notre dignité humaine.
Ça demande à être respecté, comme cet autre qui vient à nous, visage nu, démuni.
Nous sommes encore et toujours problème ; une sorte de point d’interrogation, qui s’enrichit et se transforme au fil des évènements, des rencontres.
Avons-nous oublié ce que Tosquelles nous disait : « l’isolement est au cœur du problème de l’origine de la maladie et au cœur de cette démarche thérapeutique. »
Aujourd’hui le savon manque pour laver les effets de nos bonnes pratiques. Notre hôpital est malade : l’institution renvoie la responsabilité sur l’agent, qui lui, la renvoie sur le malade.
Ainsi nous avons des agents qui se forment à la contention de la violence physique et verbale.
Les pires crimes de notre temps ont été créés au nom de la nécessité.
Des agents bien élevés, nous n’en manquons pas, ce qu’il nous faut ce sont des agents désagréables.
Notre cuisinier, Jean-Yves Cuminal, le résume en une phrase : « Sans les jambes, la tête ne suit pas. »
Car s’il est très certainement nécessaire de soutenir le conflit hors de nos institutions ; il est illusoire de penser que cela résoudra les conflits que nos institutions portent en leur sein, si nous ne les soutenons pas.
Alors, qu’est ce qui nous travaille ?
Qu’en est-il du travail de la pensée ?
Où se cache le travail en institution ?
Bon travail à tous, de la part de
L’association Culturelle du Personnel de St Alban.