Soutien à Kamel Daoud.
Patrick Chemla,
le 24 février 2016
Cher Kamel Daoud,
Au nom de la liste de diffusion que j’anime pour l’association la Criée à Reims (animant des échanges sur psychanalyse, psychiatrie et politique) je voudrais vous assurer de toute notre sympathie, mais aussi de notre colère à l’égard de la campagne de calomnies que vous subissez actuellement. Il y a de la bêtise et de l’inconscience grave chez ceux qui vous taxent d’islamophobie sous prétexte que vous avez essayé de penser la complexité de ce phénomène d’une extrême gravité qui s’est produit à Cologne et ailleurs. J’avais déjà diffusé ainsi que d’autres collègues psychanalystes, votre article que nous trouvions courageux : « s’attaquer » aux enjeux du féminin dans la « culture islamique » actuelle ; tenter de penser le choc psychique qui est en train de se produire brutalement pour des hommes qui fuient des zones de guerre et de massacre ; rien que la tentative en était risquée tant nous campons sur une poudrière.
D’un côté les populistes qui de partout en Europe « surfent » sur la xénophobie et le racisme, et manifestent même violemment leur haine comme PEGIDA en Allemagne, de l’autre les islamistes qui ont déclenché en Europe et dans le monde une vague d’attentats terroristes s’attaquant aux libertés démocratiques venant des Lumières et de la Révolution française. Des libertés qui ont demandé des siècles pour être gagnés contre la Religion chrétienne et construire un espace laïque dégagé du religieux. Ces deux forces s’alimentent l’une l’autre, pendant qu’un ultra-libéralisme violent et sans autre foi que celle de la marchandise et de la gestion biopolitique des populations, fait régner un ordre économique qui exacerbe les conflits entre les peuples et atomise les individus.
Nous avons découvert et lu régulièrement vos chroniques courageuses dans le quotidien d’Oran, d’autant plus essentielles qu’elles rencontrent un écho important en Algérie et dans le monde. Nous avions déjà appris la fatwa contre vous qui nous avait indignés. Puis nous nous sommes réjouis que receviez un prix pour votre beau livre « Meursault, contre-enquête ». Aujourd’hui nous apprenons que vous arrêtez le journalisme, ce qui va vraiment faire un trou pour le débat dans la société algérienne. Nous comprenons bien que les attaques que vous subissez vous mettent en danger et fragilisent votre position et la décision que vous avez prise vous appartient pleinement. En tout cas, après des échanges dans notre liste de diffusion, nous nous sommes décidés à vous adresser un message de soutien en imaginant la solitude dans laquelle vous vous trouvez actuellement.
Avec notre amitié, pour les collègues de la Criée
Patrick Chemla
