Sandrine Deloche Médecin pédopsychiatre Secteur infanto-juvénile du 14ème arrondissement de Paris.
Mesdames, messieurs,
Jusqu’à quand pourra-t-on dire qu’il existe en France, pour chaque enfant, un lieu de proximité, gratuit, où il peut se rendre avec ses parents, pour recevoir une aide psychologique. Cet endroit, appelé centre médico-psychologique, est la pierre angulaire du dispositif de sectorisation de la pédopsychiatrie publique. Il a vocation d’accueillir toutes les demandes de soin concernant n’importe quelle difficulté du développement psycho-affectif de l’enfant (bébé ou adolescent).
Chaque secteur représente un territoire de 140 à 210 000 habitants. Il assure des missions de soins, de prévention et participe à la protection de l‘enfance.
Pour cela, le CMP dispose d’une équipe pluridisciplinaire (psychiatre, psychologue, psychanalyste, assistant social, orthophoniste, psychomotricien, éducateur, secrétaire…) en lien avec les instituions scolaire, social, judiciaire, les partenaires libéraux et les structures médico-sociales ou sanitaires.
Aborder la problématique d’un enfant ne peut se concevoir sans la prise en compte de son histoire, son contexte de vie. Accueillir la singularité de chacun, prendre le temps de repérer la complexité des symptômes, en rencontrant aussi les parents et les professionnels de l‘enfance, permet de bâtir un « soin sur mesure ».
Pour assurer ce continuum, et donc, éviter des exclusions scolaires, des sabotages intimes, des abus de prescriptions voire de couteuses hospitalisations, il faut des moyens, du temps et de la créativité.
En 2011, 500 000 enfants ont consulté en pédopsychiatrie, pour 97% d’entre eux pour des soins ambulatoires. Demande qui a doublé en 15 ans, assurée en majeure partie par les 320 secteurs infant-juvéniles. Mais jusqu’à quand ?
Rappelons nous que l’invention du secteur est un acquis social défendant une approche humaniste et citoyenne de la souffrance psychique. Concrètement les CMP sont nés d’une triple volonté politique : accessibilité des soins, à proximité du lieu de vie de l’enfant, avec des moyens originaux à disposition.
Quarante années ont passé, la pertinence du secteur est elle toujours d’actualité ?
En tout cas, le rapport de mission (sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie) du député Denys Robiliard de décembre 2013 est sans équivoque. Je le cite : « la place du secteur comme étant l’organisation la plus pertinente sur le plan clinique et en terme de maillage du territoire et d’accès aux soins ». Il appelait du reste à un renforcement des moyens humains et financiers.
Mais sur le terrain, notre constat est amer voire désastreux dans certaines régions, conduisant à tirer la sonnette d’alarme. L’outil sectoriel, une organisation de soins unique au monde, est au bord de la rupture.
En juillet dernier, le secteur de Seine-Saint-Denis en grève, a décidé de porter plainte pour « discrimination territoriale ». Les équipes ne peuvent plus composer avec cette non assistance aux familles les plus démunies. Que se passe t-il ?
Tout le monde le sait, la principale attaque du secteur est la réduction de moyens face à une explosion des demandes, formalisant un amalgame insupportable entre pénurie de moyens et incompétence médicale.
Par réduction de moyens, je parle des restrictions budgétaires drastiques imputables aux hôpitaux auxquels chaque secteur est rattaché, qu’il soit hôpital général, pédiatrique ou psychiatrique. Le secteur se trouve piégé dans le déficit global de l’hôpital.
Ni sa spécificité extra-hospitalière ni sa nécessité de Santé Publique ne sont reconnues.
Soulager le secteur pédopsychiatrique par un renforcement de la prévention, fait partie des recommandations. Hors là aussi, depuis 10ans, on assiste à une destruction de la prévention de proximité par :
- La réduction des centres de PMI au sein de chaque département.
- A l ‘école, la disparition des Réseaux d’aide scolaires pour enfants en difficultés
- Le détachement des psychologues scolaires sur 6 à 7 d’écoles empêchant un vrai travail de prévention et de soutien.
- Un turn over des travailleurs sociaux dans les services d’aide éducative.
- L‘engorgement des demandes à traiter s’agissant de la protection de l’enfance, ASE .
Tout ceci contribue à déconstruire une politique de soin autour de l’enfant, sur les 3 axes prévention, soin et protection.
En conséquence, des problématiques sociales nous sont adressées, et à l’inverse, certaines détresses non repérées à temps peuvent engendrer des situations hyper-explosives même chez des enfants d’âge primaire. L’appel des pompiers ou de la police au sein d’écoles élémentaires n‘est plus un fait isolé.
Ultime paradoxe, depuis la loi sur le Handicap de 2005, l‘éducation nationale accueille de plus en plus d’enfants fragiles. Les ambitions de cette Loi se sont heurtées à la précarité des moyens tant sanitaires que pédagogiques.
Sachez que les demandes vers le secteur ne cessent d’augmenter, entrainant des délais d’attente intolérables, 6, 12 voire 24 mois pour accueillir un enfant qui va mal, c’est inadmissible. Comment se considérer efficace quand un enfant devrait être suivi chaque semaine et qu’il est vu tous les 2 mois ? Sans parler d’une demande d’hospitalisation urgente qui peut prendre 3 à 6 mois.
S’ajoute à cela, l‘évolution des situations qui se complexifient. La précocité et la radicalité des troubles chez l’enfant ou l‘adolescent, ne sont pas sans lien avec une précarité socio-économique accrue et une fragilisation des repères familiaux et sociaux.
Ces situations nécessitent un travail d’orfèvre : une évaluation plurielle, un projet de soins au cas par cas très abouti, et un travail de partenariat serré.
A chaque jour qui passe, notre colère s’accroit à mesure que les discours politiques élargissent le fossé entre leurs intentions et la réalité du terrain.
Ce ne sont pas les enfants qui vont plus mal qu’avant, il y a un achoppement manifeste « du prendre soin » des enfants aujourd’hui. Ce manquement résulte plus globalement d’une attaque la pensée et les liens aboutissant à un climat de maltraitance larvée, une mise en danger délibérée ou inconsciente d’autrui. Le durcissement des pratiques otages de logiques gestionnaires, l’étatisation de la santé qui confisque l’inventivité locale en font partie. Plus nos institutions se transformeront en carapace normative, plus la rébellion des enfants sera forte, et nos réponses à côté.
La nouvelle Loi de Santé, prévoit, ne l’oublions pas, que les secteurs psychiatriques subissent une « rénovation » avec une « nouvelle territorialité » dans le cadre du service territorial de santé public (STSP). L’enjeu de cette nouveauté ne serait il pas d’élargir la couverture sectorielle par nombre d’habitant ? Ce qui serait désastreux…
Le terme « Rénovation » inclut sans doute la mise en place des Groupes Hospitaliers de Territoire (GHT), rendue obligatoire avant fin 2015, avec un attendu de 400 millions d’euros d’économies grâce aux mutualisations des moyens.
Nous ne pouvons plus accepter ce paradoxe, à savoir le soutien de façade du secteur et des recommandations qui le détruisent de fait.
Pour illustrer de ce qui se prépare, la Communauté Hospitalière de Territoire (CHT), mastodonte rassemblant 3 hôpitaux psychiatriques parisiens et 2 établissements de santé, a donné le ton depuis 2011. L’hôpital Sainte-Anne, sa tête de proue, n‘a pas hésité une seconde à démanteler le secteur infanto-juvénile du 14ème arrondissement de Paris dont il a la gestion.
Le CMP créé il y a 40 ans, lieu convivial, au centre de l’arrondissement, à proximité d’écoles et des collèges sensibles, avec un réseau patiemment tissé, permettant la venue des enfants en toute sécurité, a été fermé ; jugé par la direction « obsolète et autarcique ». Dommage, il assurait lui, parfaitement, ses missions. Même les outils sectoriels performants ne sont plus protégés.
La raison ? Rentabiliser l’acquisition de l’ancien Institut de Puériculture de Paris faite par l’hôpital Ste Anne, projet soutenu par l ‘ARS, et la mairie de Paris pour accélérer la mise en place de la CHT.
L’activité sectorielle s’est vue relogée au 3ème étage de cet immense bâtiment, à l’emplacement d’un ancien service de réanimation pour prématurés. Evidemment ni l‘espace ni l‘âme du lieu ne répondent aux prérogatives très subtiles d’un accueil et du soin psychique pour enfants. Les familles sont les premières victimes de cette destitution de pratique. Qu’importe puisque face au seul idéal de la rentabilité, tout doit être interchangeable, flexible, adaptable.
Sur le site, s’annonce, d’ici l’horizon 2020, un Centre Référence Enfance pour le Sud Parisien. Ce vaste plateau d’expertises aurait il vocation de remplacer le travail de secteur ?! Rien n’est moins sûr car soutenir une pédopsychiatrie qui traite, par tranches et ponctuellement, des symptômes sans se préoccuper de l’enfant énonciateur, c’est tourner le dos à la dimension humaniste et sociétale de la folie, de la souffrance.
Voilà nous y sommes, derrière ces nouveaux décrets soutenant la légitimité du secteur, la politique de santé continue d’appliquer une économie d’austérité détruisant des outils destinés à la santé psychique des petits. A cela Nous, nous disons non.
Risquer de ne pas soigner un enfant c’est un écueil tragique de société, et ça l’enfant et ses parents ne pourront pas l’oublier. Mesdames messieurs les sénateurs vous aussi, ne l’oubliez pas.