Audition MISMAP Collectif des 39 9 juillet 2013
1) Dr Mathieu Bellahsen
Le collectif des 39 travaille depuis plus de cinq ans pour une psychiatrie promouvant des soins psychiques fondés sur l’accueil et l’hospitalité. Il regroupe des soignants de toutes catégories professionnelles, des usagers, des familles et des gens du monde de la culture.
Nous prenons acte de la volonté d’apaisement dans la rédaction de la proposition de loi et considérons comme des avancées positives:
1- la suppression du statut spécial des patients passés en UMD
2- la mise en place de sorties de courte durée non accompagnées (ce qui ne modifie pas le mode de l’hospitalisation temps complet). Mais le délai maximal de ces sorties non accompagnées est de 48h, ce qui semble trop court. Pourquoi d’ailleurs les limiter ?
Nous demandons un allongement de ce délai. 3- La suppression du certificat de J5-J8 4- L’intervention du JLD à 10J en audience foraine+++
Pour autant, le problème central est celui du cadre de discussion comme va l’abordera après moi Patrick Chemla, et notamment l’existence de soins sans consentement en ambulatoire. Nous le répétons, la garantie que ces soi disant « soins » soient de véritables soins est maigre voire nulle.
Rappelons qu’avant l’avis du conseil constitutionnel, la loi de juillet 2011 était fondée sur un postulat erroné qui, pour aller vite, qui confondait « soins » et « prise des médicaments ». Dans cette optique réductrice les soins se limitaient à être certain que les patients psychotiques aient une « injection mensuelle de neuroleptique retard » puisque des nouveaux médicaments étaient supposés mieux soigner les troubles psychiques (ce qui est faux, aucune avancée réelle depuis 50 ans dans la chimiothérapie).
Lors des Assises de la psychiatrie et du médico-social les 31 mai et 1er juin derniers, qui ont été un franc succès avec plus d’un millier de personnes présentes, nous avons consolidés notre engagement commun contre la bascule de paradigme opérés par la création de ces « soins sans consentement en ambulatoire ». La malaise était d’ailleurs perceptible par le législateur dans la loi de juillet 2011, puisque ces soit disant « soins » n’apparaissent que sous la paraphrase de « soins selon l’article… »
Malgré les critiques du pré-rapport de la mission parlementaire, deux points importants n’ont pas été modifiés :
– l’expression « soin » n’est pas remplacée par le mot « placement »
– les soins sans consentement en ambulatoire et les programmes de soins ne sont pas remis en question malgré le déplacement de la contrainte centré sur un lieu, l’hôpital, vers une contrainte centré directement sur la personne.
C’est une bascule puisque l’extension du champ de la contrainte est devenue illimitée, tant sur le nombre de personnes qui sont concernées, que sur son temps d’application. Par ailleurs cette contrainte peut défausser les professionnels de travailler à un lien thérapeutique avec patients et famille fondé sur la confiance.
En conclusion le point négatif central est la perpétuation des « soins ambulatoires » et « soins à domicile ». Soyons clairs, ce ne sont pas d’autres « modalités de soins » mais d’autres modalités de contrainte aux soins en ambulatoire.
Après cette remise en question du cadre général de la loi, les autres points à modifier sont :
1- Il n’y a pas de délai clairement donné à l’administration pour modifier une prise en charge d’hospitalisation complète en SSCA, ce qui dans la pratique laisse latitude à l’administration de nous faire mariner et de refuser cette modification parce qu’on est pas dans les délais, « qu’il aurait fallu s’y prendre plus tôt » etc.
l’inscription dans la loi d’un délai de la décision du directeur pour la transformation du mode contraint de prise en charge est une mesure importante
2- la vidéoaudience est certes encadrée mais n’est pas supprimée. Nous plaidons pour sa suppression pure et simple, là aussi le principe en lui-même ne peut subir d’adaptation
3- La primauté de la confidentialité de l’audition et non sa publicité sont indispensables pour des raisons compréhensibles cliniquement : la levée partielle du secret médical (certificats), audition devant d’autres patients de l’hôpital
4- Enfin, dans le cas des SPDRE, pour une permission, le psychiatre doit faire la demande 48h avant. Le préfet peut s’y opposer jusqu’à 12h avant la permission, ça semble très court et cliniquement ça peut créer des tensions inutiles avec les patients
Un temps entre le délai d’opposition du préfet et la sortie du patient plus long (24h par exemple au lieu de 12h) nous semble préférable
2) DrPatrickChemla
Notes pour l’audition du 9 juillet par la commission en charge de l’avenir de la Psychiatrie
Une fois l’exposé de Mathieu Bellahsen effectué, je ne rajouterai rien sur le projet de loi lui- même, sinon qu’il est manifestement le fruit d’un compromis, et qu’il voudrait en quelque
sorte adoucir le sécuritaire par la médicalisation. Ce qui nous fait aboutir à des paradoxes logiques et très concrets comme les soins sous contrainte en ambulatoire, rebaptisés entre temps programmes de soins. Et qui sont le cœur de la loi du 5 Juillet. C’est en généralisant l’espace de la contrainte que cette loi nous a paru scandaleuse quand elle fut promulguée et cet aspect demeure dans l’actuel projet.
Il eut mieux valu procéder à une abrogation préalable comme promis, pour repenser une nouvelle loi sur la psychiatrie qui aurait commencé par affirmer la primauté des soins libres.
Et même dans le projet actuel, il ne semble pas suffisant d’affirmer que le reste des enjeux de la psychiatrie sera envisagé plus tard ! Il faudrait insister d’emblée sur une politique incitative qui fasse de la contrainte une exception, alors que nous savons que les mesures d’internement n’ont cessé d’augmenter avant même la loi du 5 Juillet !
Il s’agirait d’inverser cette tendance lourde et rétrograde pour promouvoir une psychiatrie fondée sur l’accueil, recherchant la confiance entre patients, soignants et familles.
A quoi servent ces soins sous contrainte en ambulatoire, qui ne peuvent désormais plus s’exercer sous la contrainte, et qui nécessitent une relance complète de l’hospitalisation sous contrainte en cas de refus ? A rassurer de façon illusoire les familles qui vont croire que leur proche sera ainsi soigné par des équipes placées sous contrainte de la loi ?
A rassurer des équipes qui voudraient faire l’économie d’un travail de construction d’un espace de confiance préalable à toute possibilité de thérapeutique ?
A continuer à faire peur à des patients récalcitrants qui refuseraient de prendre leur traitement ?
Nous le réaffirmons avec insistance : ce sont là de très mauvaises raisons, et il vaudrait mieux purement et simplement abolir ces mesures : un internement peut se faire sous la contrainte, pas un soin psychique !
Il eut mieux valu maintenir les termes de « placement » comme Denys Robillard l’avait préalablement envisagé « pour appeler un chat un chat », et réserver le terme de soin à un registre contractuel, négocié et renégocié autant que de besoin tout au long d’une prise en charge.
Cela constitue le quotidien de nombreuses équipes qui se passent de tout « programme de soins », ou qui ne les utilisent que dans les très rares situations cliniques que la loi de 90 encadrait déjà en terme de sorties à l’essai. Pourquoi réintroduire ces sorties à l’essai pour les limiter à 48 H ?
Nous pourrions évoquer les longs week-ends et tenter de négocier leur durée, mais surtout imaginer qu’elles pourraient venir en lieu et place des programmes de soins.
Ainsi l’hôpital retrouverait une fonction contenante dans le bon sens de ce terme , à charge pour des équipes relancées par le législateur de faire que ces lieux d’hospitalisation retrouvent
ou réinventent leur fonction thérapeutique, sans laisser croire à une pseudo accélération de la « guérison » par la mise en isolement, la contention et l’administration de traitements à forte doses sans cesse présentés comme des panacées ou pire des avancées de la science !
Le tout à marche forcée aboutissant à rejeter de l’hôpital et souvent sans concertation avec les proches des patients gavés de traitements qu’ils s’empressent de rejeter.
Nous vous l’avons déjà dit : ces pratiques barbares ne cessent de progresser dans les établissements et leur protocolisation contrôlée ne fait malheureusement que les cautionner !
Il s’agit de l’exact contraire d’un temps fort quelquefois nécessaire pour qu’un patient puisse se rassembler, réduire les excès de son délire quand celui-ci l’empêche de vivre et se préparer à la sortie avec le soutien d’une équipe ambulatoire. Puisque c’est dans l’ambulatoire et l’espace de la cité que des soins peuvent être prodigués lorsqu’ils sont nécessaires et négociés entre les uns et les autres.
Et qu’ils devraient constituer la base même d’une politique de secteur à refonder dans un contexte difficile.
En conséquence, à défaut d’une abrogation pure et simple de la loi du 5 juillet, nous demandons la suppression pure et simple des soins sans consentement en ambulatoire pour les remplacer par des sorties à l’essai qui devraient rester marginales et permettre la réinsertion dans la cité.
Un tel changement ne prendrait de valeur qu’à la faveur d’une relance politique d’une psychiatrie fondée sur l’accueil et des valeurs de solidarité.
Cette politique pourrait aussi se fonder sur les nouvelles convergences qui ont pu apparaitre entre des collectifs d’usagers, de familles et de soignants qui ont trouvé récemment l’expression de leur rassemblement dans les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médicosocial, appelées par le Collectif des 39.
3) MatthieuDissert
L’hospitalisation sous contrainte qu’il s’agisse de son ancienne ou sa nouvelle dénomination est un acte d’une violence extrême, bien sûr elle est parfois nécessaire même quand le patient adhère à ses soins, il peut arriver qu’une crise le conduise à refuser une hospitalisation.
1- une hospitalisation sous contrainte commence souvent par l’intervention de la force publique et des pompiers avec, parfois, une violation du domicile du patient.
2- lors de l’arrivée à l’hôpital, on vous dépouille de vos vêtements et effets personnels. 3- parfois on vous enferme, voire même on vous attache.
La nécessité de cette procédure n’en atténue pas moins la violence et cette violence ne peut être considérée comme un soin.
Dans le meilleur des cas la crise passe et le délire diminue, et la contrainte cesse, c’est là que commence le soin.
Certaines équipes, refusent d’admettre que si le patient n’adhère pas au soin, il s’agit bien de leur échec, le patient n’étant en aucun cas responsable de ce qui lui arrive.
Les soins sous contrainte en ambulatoire sont la perpétuation de cette violence initiale, qui devient une menace, l’hospitalisation faisant office de sanction de type carcérale.
Il est inadmissible que sous prétexte de l’incompétence de certaines équipes de « soins » soit renforcée par une loi qui leur permet de se passer de faire leur travail, établir le contact et instaurer la confiance.
Un traitement médicamenteux non accepté aura des effets qui augmenteront son rejet.
Les soins sous contrainte en ambulatoire, loin d’améliorer la prise en charge, ont et auront pour effet de maintenir les mauvaises pratiques violentes des mauvaises équipes.
4) Dr Thierry Najman
Juste quelques mots de conclusion, afin de préciser encore trois points, dans la lignée et la philosophie de ce qui vient d’être évoqué :
Il est étonnant que le rapport d’étape ne dise rien au sujet de cette nouvelle mesure d’hospitalisation, introduite par la loi du 5 juillet 2011, appelé « péril imminent sans tiers » mais que l’on pourrait paradoxalement et logiquement qualifié « d’HDT sans tiers ». Ce nouveau mode de placement est source de confusion et d’ambiguïté sur plusieurs points. Sur le terrain, il est possible de constater son utilisation dévoyée dans un certain nombre d’hôpitaux. Dans différents SAU, par exemple, des médecins adoptent cette mesure par commodité, face à une surcharge de travail, afin de ne pas avoir à rechercher un tiers qui pourtant existe et pourrait venir signer un certificat en se déplaçant jusqu’au SAU. Cette SPDT sans tiers reflète, au même titre que d’autres aspects de cette loi, l’idéologie sécuritaire qui la sous-tend et dans laquelle elle prend son origine. Sur le terrain, de nombreux acteurs hésitent quant à la façon d’interpréter et de mettre en pratique la loi à son sujet. Lorsqu’un membre de la famille ou un ami se manifeste dans un second temps, et que la mesure avait été prise faute de tiers, est-il possible, ou même est-il souhaitable, de la transformer en SPDT ? Il ne serait pas inutile que le projet de loi clarifie ce qu’il en est cette modalité d’hospitalisation ambiguë et source de dérives potentielles que l’on observe déjà dans la pratique sur certains secteurs.
Par ailleurs, il faut reconnaître les avancées de ce projet de loi en matière d’allègement bureaucratique, avec en particulier la disparition du certificat du 8ème jour. Cependant, il serait probablement possible d’aller un peu plus loin dans ce domaine afin de favoriser le développement du temps soignant relativement au temps purement administratif. D’autres certificats ne sont bien souvent que des copies inutiles des précédents et mobilisent des médecins dans des services sous dotés en temps médical. Il nous faut créer les conditions d’un meilleur accueil de nos patients et élaborer un cadre de travail mettant l’accent vers un soucis clinique plus qu’un souci bureaucratique. De surcroît, dans beaucoup de services, tous les médecins ne disposent pas de la signature concernant les certificats. En des temps de pénurie, et après les diminutions d’effectifs de ces dernières années dont nous n’avons peut-être pas encore vu le bout, il nous faut ménager ce qui reste de moyens humains et employer ces moyens humains sur le terrain de la relation au patient, de l’échange clinique, et des activités thérapeutiques. Nous savons que la déflation du temps passé auprès des patients et la diminution du temps soignant sont des facteurs d’accroissement de la contrainte, de l’enfermement, voir de la contention. Or, il est clair que depuis un certain nombre d’années le mouvement général est celui de l’addition des protocoles, à l’utilisation des ordinateurs (y compris en matière de soins sans consentement) et à l’accumulation contre productive de formulaires en tout genre.
Un dernier point, pour appeler à la prudence en matière de systématisation de l’intervention des avocats, tel que le prévoit le projet de loi. Une meilleure information des patients est indéniablement souhaitable, concernant le droit des malades, et la possibilité de se faire assister d’un avocat au moment où le patient le souhaite. Le matériel doit être fourni pour rédiger un éventuel courrier, ainsi peut-être, qu’une liste d’avocat, avec les démarches précises pour être mis en relation avec un avocat commis d’office. Un livret d’accueil clair à ce sujet est nécessaire. Mais une systématisation trop poussée dans ce domaine comme dans d’autres, un défaut d’adaptation, par conséquent, à la singularité du cas, une logique trop purement juridique, ne prenant pas suffisamment en compte la dimension clinique de cette question, pourrait parfois produire des résultats contraires à l’intérêt du patient et au but rechercher. Cela suppose une discussion au cas par cas avec le patient et ses proches. Enfin, comme cela avait noté lors des précédentes auditions, il serait véritablement important que le juge, en cette circonstance particulière, puisse être requalifié de «juge des libertés» et que soit officiellement écarté le terme de « détention » qui renforce malheureusement l’amalgame trop souvent relevé, entre maladie mentale et dangerosité. La très grande majorité des patients ayant des soins sans leur consentement n’ont commis aucun délit, aucun crime, et le terme de « juge des libertés et de la détention » n’aide pas les patients à penser que le juge est présent pour les protéger, ce qui est pourtant la réalité.