>A Lille, le procès d'une méthode de traitement d'enfants autistes (Mediapart)

(par Sophie Dufau, Mediapart)

La prise en charge des enfants autistes selon les méthodes de Vinca Rivière, dans le Nord, est loin d'être le conte de fées que cette enseignante à l'université s'évertue à présenter. Après le rapport de l'agence régionale de santé qui, en réponse à un courrier de parents, concluait en février que le centre Camus présentait des « dysfonctionnements »constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d'avoir des répercussions sur les enfants accueillis » (lire les révélations de Mediapart), c'est un procès au civil qui se prépare pour l'automne pour « pratique déloyale de Vinca Rivière et de son association Pas-à-pas et manquements contractuels » dans la prise en charge d'un enfant à domicile. Autrement dit, à entendre cette famille raconter son histoire : mauvais traitements et personnel incompétent.

Jacques Turan, le père de l'enfant, ne fait pas ce procès «pour l'argent» – les parents réclament 5 000 euros, bien loin des sommes engagées et s'ils obtiennent gain de cause, la somme sera reversée à une association de prise en charge de l’autisme –, « c'est simplement pour dénoncer le mépris qu'elle a eu de notre enfant : elle l'a pris comme un Kleenex, elle l’a exclu sans aucun scrupule. On ne voulait pas partir avec ce sentiment d'impunité. Et on espère, en témoignant, que ça servira aux autres parents ».

Vinca Rivière, à droite.Vinca Rivière, à droite.

Pour comprendre les enjeux de cette plainte, il faut d'abord se souvenir que Vinca Rivière est une petite sommité dans le monde de l'autisme. Responsable d'un master et d'un diplôme universitaire à l'université de Lille 3, elle se targue d'avoir introduit en France la méthode ABA – Applied Behavior Analysis, ou, en français, analyse appliquée du comportement –, une méthode comportementale d'apprentissage que la Haute autorité de santé a classée en mars dernier dans les « interventions recommandées » dans la prise en charge des personnes présentant des troubles envahissants du développement.

Même si nombre de professionnels contestent à Vinca Rivière le titre de pionnière, même si l'unique association à laquelle elle revendique appartenir« la fédération pour le développement des sciences du comportement qui réunit jusqu’à 12 associations nationales et 2 associations étrangères», fut simplement créée par elle en 2009, c'est pourtant vers Vinca Rivière que bien souvent se tournent les médias pour illustrer les nouvelles prises en charge de l'autisme. Et le grand public se souvient sans doute de la soirée que France-2 lui a consacrée en juin 2008, lorsque l'acteur Francis Perrin eut carte blanche dans l'émission Envoyé spécial pour présenter la méthode et les professionnels qui s'occupaient de son fils Louis.

Dans notre enquête d'avril dernier, outre que Vinca Rivière défendait pour certains cas de patients adultes « des procédures de punition par choc électrique », nous révélions aussi que forte du soutien écrit de Xavier Bertrand qu'elle a obtenu, le centre Camus qu'elle a ouvert en 2008 se voyait octroyer par le ministère de la santé un budget de fonctionnement de plus de 80 000 euros par enfant et par an, soit une somme 2,5 fois plus élevée que des centres fonctionnant de façon similaire en France.

C'est dans ce contexte que ces courriers et plainte de parents prennent tout leur relief. A Roubaix, Vinca Rivière dirige deux structures : l'association Pas-à-pas qu'elle a fondée au début des années 2000 (elle en est aujourd'hui la trésorière) pour assurer une prise en charge à domicile des enfants et le centre Camus ouvert en 2008, dont le gestionnaire est l'association Pas-à-pas. Aujourd'hui 20 enfants sont accueillis dans le centre et 80 dans l'association.

C'est au milieu des années 2000 que Jacques Turan croise la route de Vinca Rivière.

Fin 2006, il s'inscrit au diplôme universitaire qu'elle dirige à Lille 3. Il est alors médecin en Franche-Comté. Son fils, 6 ans à l'époque, ne parle pas, n'est pas propre et n'avait pas particulièrement de prise en charge. Le père espère que ces allers-retours mensuels Lille-Vesoul lui permettront de rencontrer des psychologues ABA disposés à s'installer dans l'Est de la France.« Mais Vinca Rivière m'a affirmé que si on venait à Lille, Zacharie pourrait bénéficier d'une prise en charge de 40 h par semaine à domicile. » En avril 2007, la psychologue avec laquelle il fut mis en relation lui assure que « tout est prêt pour l'accueil de Zacharie ». « Et il ne fallait pas traîner. A 6 ans, disait-elle,chaque jour compte. Il faut venir vite, très vite. C'était presque du harcèlement. »

Même si l'association n'avait fait aucun diagnostic de l'enfant et s'était contentée du récit du père pour évaluer ses besoins, les époux Turan décident de s'engager. Du jour au lendemain, ils quittent la Franche-Comté, vendent la maison « qu'on avait fait construire », mettent fin « à la collaboration avec le cabinet de médecins avec qui je travaillais ». Face à l'indigence des prises en charge de leur enfant autiste, toute perche qui se présente fait espérer de pouvoir sortir la tête de l'eau.

Mais arrivés à Lille, ce fut la « grande surprise, il n'y avait pas d'équipe, seulement une étudiante fraîchement diplômée, incapable d’élaborer ou de modifier un programme selon l’évolution de l’enfant, et une autre en 4e année d'études », raconte le père. La mère poursuit : « Dès le départ, il y avait beaucoup de choses qui clochaient : la psychologue était complètement à côté de la plaque, vague, évasive. Elle a fait passer le test de capacités à Zacharie à toute vitesse. Dans tous les centres de ressources autisme, ce test est suivi d'un compte rendu écrit, nous en avions d'ailleurs eu un à Strasbourg. Mais quand je le lui réclame, elle me répond que ce n'est pas “dans sa pratique” et qu'elle fera un bilan verbalement. Nous avions quand même payé 545 euros… »

Vinca Rivière vient alors chez eux pour discuter. Les parents demandent non seulement un compte rendu écrit du test, mais aussi un bilan des séances que Zacharie suivait avec la psychologue et l'intervenante. « Pas à l'issue de chaque séance,explique le père, mais une fois par semaine ou même 2 fois par mois, simplement quelque chose qui nous détaille le programme, les progressions éventuelles. »

Alors qu'ils pensaient, en arrivant à Lille, pouvoir disposer de personnel expérimenté, les parents comprennent vite que tous les intervenants sont des étudiants. (« On les payait en chèque emploi service : 12 € net de l'heure, pour ceux qui étaient en master 2 ; 10 € pour ceux qui étaient en master 1 ; et 8 € pour ceux qui étaient en licence. ») Une psychologue est là pour assurer la supervision des intervenants, une sorte de formation continue.« Nous avions convenu au départ que Zacharie aurait chaque semaine 40 h de séances à domicile, et que la psychologue nous facturerait en plus 10 heures de supervision. »

Mais face aux difficultés rencontrées par les intervenants, la psychologue n'avait qu'une seule réponse : « Dès que ça n'allait pas avec telle ou telle, il fallait superviser. C'était toujours plus de supervisions, payées 35 € de l'heure, et donc toujours plus d'argent. Ou alors elle se proposait pour intervenir elle-même, mais au tarif de 25  de l’heure, ce qui n’était pas du tout prévu dans notre budget », explique Zakia Turan. En moyenne, cette prise en charge leur a coûté quelque 2 000 euros par mois.

 

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