>Lettre de juin 1969 adressée par D.W.Winnicott, au rédacteur de Child Care News

Lettre de juin 1969 adressée par D.W.Winnicott, au rédacteur de Child Care News, parue dans D. W. Winnicott. Psycho-Analytic Explorations, Londres. Kamac, 1989, pp. 125-128.

Cher Monsieur,

Il est certain que l’on pourrait faire un commentaire élogieux de l’article que Carole Holder consacre a la Thérapie Comportementale dans le Child Care News de mai 1969, n° 86. Pour cela, cependant, il faudrait être dans un monde différent de celui dans lequel à la fois je vis et je travaille. Il est important pour moi d’avoir l’occasion de faire savoir à mes nombreux collègues travailleurs sociaux que je désire tuer cet article et sa tendance. J’aimerais en dire plus et, en tout cas, commencer par dire pourquoi je veux les tuer.

Ce pourrait être une bonne chose que de lire les déclarations de cet article aux travailleurs sociaux qui, par autosélection, sélection et formation, ont une pratique de cas. A coup sûr, il est bon que l’on vous remette en mémoire que les systèmes locaux de principes moraux ne sont pas seulement enseignés par l’ exemple, mais aussi par des tapes sur le derrière et des punitions. En fait, il est peu probable que nous puissions oublier ce fait fondamental, puisque une grande part de notre travail s’est édifiée a partir de l’ échec de la thérapie comportementale telle qu’elle se pratique à la maison et dans les institutions.

Je revendique le droit de protester. J’ai gagné ce droit du fait que je n’ai jamais accepté le mot maladjusted qui, dans les années 1920, a traversé l’AtIantique dans les bagages de la “Guidance infantile” et nous a été vendu en même temps. Un enfant mal adapté est un enfant, garçon ou fille, aux besoins de qui quelqu’un n’a pas su s’adapter à tel stade important de son développement.

Imaginez des travailleurs sociaux dans un groupe d’études réfléchissant avec les principes de la thérapie comportementale. Un tel groupe ne tarderait pas a être, par sélection et autosélection, rempli par des gens qui, de façon naturelle, adoptent la disposition d’esprit de la thérapie comportementale. La formation ne ferait qu’accentuer les sillons et les arêtes des structures de la personnalité déjà à l’œuvre dans les mœurs comportementalistes.

Ce serait vraiment une bataille perdue, parce que ces gens dont je parle avec les mots de sillons et d’arêtes ne sauront pas qu’il existe une autre sorte de travail social, un travail orienté pour faciliter les processus du développement ; ils ne sauront pas que contenir tensions et pressions des personnes et des groupes comporte une valeur positive, de même que laisser le temps agir dans la guérison ; ils ne sauront pas que la vie est réellement difficile et que seul compte le combat personnel, et que, pour l’individu, il n’y a que cela qui soit précieux.

L’article de Carole Holder met en lumière qu’il est possible de considérer la vie avec la plus extrême naïveté. Le problème est que cette surprenante sursimplification doit séduire les gens dont on a besoin pour financer le travail social. 

Rien de plus facile que de vendre la thérapie comportementale aux membres d’un comité qui, à son tour, la revendra aux membres des conseils municipaux dont les talents s’exercent dans d’autres champs. On n’est jamais à court de gens qui affirment avoir tiré profit des principes moraux que leurs pères leur ont imposés en famille, ou tiré profit du fait qu’à l’école un professeur sévère rendait cuisants la paresse ou un larcin. C’est à cela que les gens croient pour commencer.

Il faut malheureusement, de près ou de loin, parler ici des médecins et des infirmières, car leur travail aussi repose sur une sursimplification fondamentale : la maladie est déjà présente, leur travail est de l’éliminer. Mais la nature humaine n’est pas comme l’anatomie et la physiologie, bien qu’elle en dépende, et les médecins, là encore par autosélection, sélection et formation, ne sont pas faits pour la tâche du travailleur social, à savoir reconnaître l’existence du conflit humain, le contenir, y croire et le souffrir, ce qui veut dire tolérer les symptômes qui portent la marque d’une profonde détresse. Les travailleurs sociaux ont besoin de considérer sans cesse la philosophie de leur travail ; ils ont besoin de savoir quand ils doivent se battre pour être autorisés a faire les choses difficiles (et être payés pour ça) et non les choses faciles ; ils doivent trouver un soutien là où on peut en trouver, et ne pas en attendre de l’administration ni des contribuables, ni plus généralement des figures parentales. En fait, dans ce cadre loca1isé, les travailleurs sociaux doivent être eux-mêmes les figures parentales, sûrs de leur propre attitude même quand ils ne sont pas soutenus, et souvent dans la position curieuse de devoir réclamer le droit d’être épuisés par I’exercice de leurs tâches, plutôt que d’être séduits par la voie, facile, de se mettre au service de la conformité.

Car La Thérapie Comportementale (avec des majuscules pour en faire une Chose qui peut être tuée) est une porte de sortie commode. Il faut juste s’accorder sur des principes moraux. Quand on suce son pouce, on est méchant ; quand on mouille son lit, on est méchant ; quand on met du désordre, quand on vole, qu’on casse un carreau, on est méchant C’est méchant de mettre les parents au défi, de critiquer les règlements de l’école, de voir les défauts des cursus universitaires, de haïr la perspective d’une vie qui tourne comme une courroie de transmission. C’est méchant de rechigner devant une vie réglée par des ordinateurs. Chacun est libre d’établir sa propre liste de “ bon ” et “ méchant ” ou “ mauvais ” ; et une volée de comportementalistes partageant plus ou moins des systèmes moraux identiques est libre de se rassembler et de mettre en place des cures de symptômes.

Il y aura des ratages, mais il y aura quantité de succès et d’enfants qui iront disant : “ Je suis si joyeux de ne plus mouiller mon lit grâce à MIle Holder ”, ou grâce a un appareil électrique ou a un “conditionneur” quelconque. Le thérapeute n’aura besoin de rien d’autre que d’exploiter le fait que les êtres humains sont une espèce animale dotée d’une neurophysiologie à l’instar des rats et des grenouilles. Ce qu’on laisse pour compte, là, c’est que les êtres humains, même ceux dont la teneur en intelligence est plutôt basse, ne sont pas simplement des animaux. Ils ont pas mal de choses dont les animaux sont dépourvus. Personnellement, je considérerais que la Thérapie Comportementale est une insulte même pour les grands singes, et même pour les chats.

Il est triste de penser qu’il n’y a pas suffisamment de travailleurs sociaux, et qu’il n’y en aura jamais suffisamment. Il est infiniment plus triste de penser que le dernier paragraphe de l’article de Mlle Holder pourrait bien être utilisé par les responsables des Institutions d’enfants pour justifier la transmission, à qui officie en pédiatrie, de ce “ procédé économique et raisonnable ” qui doit rendre gentils les méchants clients.

Il est clair que je suis en train de m’exercer a faire marcher un conditionneur : je veux tuer la Thérapie Comportementale par le ridicule. Sa naïveté devrait faire l’affaire. Sinon, il faudra la guerre, et la guerre sera politique, comme entre une dictature et la démocratie. Votre très fidèle


D. W. WINNICOTT

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12 réflexions sur « >Lettre de juin 1969 adressée par D.W.Winnicott, au rédacteur de Child Care News »

  1. Il faudrait définir ce à quoi ressemble en pratique un travailleur social. N'oublions les vacataires, les contractuels payés une misère, travaillant à petite durée, de façon indéterminée. J'ai l'idée qu'un vrai travailleur social, aujourd'hui est là pour faire appliquer une politique définie par la couleur politique du maire, sous les ordres du secrétaire général de Mairie. Quand ce n'est pas le cas, on les cantonne dans un petit boulot, dans de petites structures et on lui fait porter le chapeau au moindre incident. IL lui faut tout prévoir, tout programmer, et pour une tout petit salaire. J'ai travaillé sans être à priori un travailleur social, dans plusieurs mairies (animateur, directeur de collectivités, pratiquement aussi dans le sport) En plus de dix ans, ce qui est donné pour ma future retraite, sur dix, je ne toucherais que 300€ par mois. Depuis vingt trois, je suis devenu fonctionnaire au ministère de l'Ecologie, j'entrevois à 60 ans, 1000€/mois maximum, don j'ai 59 ans et si l'on me garde, je resterais le plus tard possible. J'ai pourtant approché le rôle social jusqu'à l'âge de 35 ans, avec des vraies difficultés sans être titulaire, d'ailleurs il n' y avait pas de titularisation possible, ce sont des vacations précaires, mais dix ans à ce tarif, qui l'oserait.

  2. Précisément , dans les soucis sociaux des personnes privées de leurs droits personnels par dissimulation de la Parole.
    Dieux seul est au courant de la connectivité réelle des circuits fondamentaux interne; l'image est une image, la vue peut rendre aveugle, et le son sourd, il ne restera que le geste à vaincre mais comme il est le socle d'une activité réellement efficiente, qui, sans mouvement régulier et ordonné créera un cahot, un monticule, un mont,une montagne bien réelle qu'il faudra attaquer pour commencer par le plus bas des niveaux, voir plus profond, le caniveau, le trou et le gouffre abyssal, généré par ceux qui pense que un plus un égal d'eux.
    Le relais est un nécessaire pas inutile.Mais l'inutile est indispensable à l'autre tant que l'autre comprend à quoi il sert sur un réseau.Si le réseau est chargé de relais la tension devient sensible et tangible, las du coeur du réseau les éléments chauffes et là, l'hyper-tension guettant le noyau, un infime détail entraîne inévitablement la rupture et le fiel se répand sans retenue aucune, envahissant l'ensemble de la structure pourtant bien établie depuis un temps sans nom, mais bien oublié; où le nerf de la guerre était de savoir avancer où reculer pour, enfin, mieux recommencer en profitant du moment présent et, y réfléchissant  plus lentement, continuer un mouvement coordonnée.Le liquide est une base et l'élément est, modifiable, le feu interne est inévitable mais sans contrôle par la base, elle-même, il ne peut que croître sans moyen d'extinction, la multitude est une chose élémentaire, la qualité devenant primordiale pour qualifier chacun d'eux, l'apprentissage des gestes liés à la parole posée envahissante engendre une perturbation complémentaire, il faut mieux réguler le débit afin d'écouler plus le trafic des maux.Amen

  3. @phico vous parlez de Dieu ou des dieux parce que ça change tout au niveau de la connectivité dans le premier cas le flux à un sens alors que dans l'autre le flux et multidirectionnel.

  4. Dieu est une invention. Le monde n'a ps été créé par une intervention divine, un déterminisme, une volonté. Tous les scientifiques le disent, il y a eu explosion, mais avant tout c'est un hasard, une indétermination. L'idéalisme est une théorie qui n'a provoqué que l'exploitation de l'homme par l'homme, le matérialisme des idées par contre, oui, l'athéisme oui, la laïcité, oui,
    La connectivité désigne ce qu'une entité offre comme connexion à d'autres entités de son environnement. Elle se rapporte plus généralement à la théorie des graphes En réseaux on trouve la connectivité directe et la connectivité indirecte (connexions entre deux hôtes n'ayant pas les mêmes adresses.. Je travaille au ministère de l'écologie :En écologie, la connectivité écologique désigne le degré de non-fragmentation écologiquedes milieux et paysages..La multimodalité PAR EXEMPLE désigne la contribution de plusieurs modalités pour appréhender un phénomène ou pour interagir avec un objet. On considère un système, par exemple un dispositif de captation diffusion utilisant un ordinateur comme un sujet percevant et agissant. On distingue les modalités d'entrée : organes sensoriels et méthode de captation (par exemple toucher ou mesure de chaleur : plus ou moins chaud) et les modalités de sortie ou méthodes d'effecteurs (par ex. variation d'intensité sonore). Les interfaces interactives sont souvent multimodales, dans le sens où le même dispositif partage utilise de manière complémentaire et appropriées plusieurs modalités d'entrée sortie au service de l'usage recherché.Encore là vie à vie de ma formation, je peux dire qu'on retrouve cela dans le transports de personnes ou de marchandises.
    Dans les religions monothéistes, Dieu est une entité suprême, unique, immatérielle, trancendante, créatrice unique de toute chose et d'une absolue. Ces religions lui attribuent les caractères d'infini, dE perfection? d'omniscience, d'éternité, d'omnipotence et de démiurgie.
    Considéré comme un nom  propre dans la langue française, le nom « Dieu » avec une majuscule, désigne « un être suprême transcendant,  unique et universel, créateur et auteur de toutes choses, principe de salut pour l'humanité qui se révèle dans le déroulement de l'histoire. Pour moi cela supposerait qu'avec la subjectivité on dépasse la réalité objective.. Un exemple parmi tant d'autres sans parler du polythéisme :.le Dieu des philosophes grecs ne prétend pas rendre raison de l'origine de l'Univers, mais seulement de l'ordre et de la hiérarchie qui s'y découvrent, au-dessus des choses soumises à la génération et à la corruption ».. Il semblerait évident que le monde a été créé par un hasard scientifique, et non par une volonté divine, mais les idéalistes nous disent le contraire, tandis que les matérialistes parlent de hasard, d'indétermination, d'objectivité, ils nient cette croyance comme il nie l'existence de Dieu.Au cours de l'histoire de la philosophie de nombreux arguments ont été fournis en faveur et en défaveur de l'existence de Dieu ou de la croyance en cette existence. Les arguments sur l'existence même de Dieu peuvent être des arguments métaphysiques ou empiriques, ceux portant sur la croyance en Dieu sont dits arguments épistémiques..ON est pas dans l'épistémologie, donc, on est pas sur des symptomes, Il y a des arguments pour l'existence de Dieu.Il y a ceux qui disent avec force, qu'il n'a jamais existé.
    Freud considère que la foi est un symptôme qui exprime un besoin d'être protégé et la détresse qui prolonge celle de l'enfant : Dieu représente un père transfiguré, supérieur au vrai père et meilleur que lui[ : Dieu a été inventé par l'homme comme « substitut [psychotique] de la protection parentale qu[e l'homme] perçoit comme défaillante », inventant un Dieu bon ainsi que la croyance en la vie éternelle. Même s'il considère que la religion a rendu de grands services à la civilisation, Freud ne pense pas qu'il faille croire à ce qu'il estime être une « névrose obsessionnelle universelle », croire en Dieu revenant par ailleurs à prendre ses désirs pour des réalités.  Freud écrit :

    « Il serait certes très beau qu'il y eût un Dieu créateur du monde et une providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie après la mort; mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-même»



    Carl Jung pour qui un symbole est quelque chose qui « renvoie toujours à un contenu plus vaste que son sens immédiat et évident » dit de Dieu qu'il est « le symbole des symboles »C'est une expression qui ne se veut pas révolutionnaire, mais au contraire dans la continuité des diverses expressions du divin. Les recherches de Jung, dans l'alchimie ou la philosophie chinoise, tentent de relier ce qui est universel dans le ressenti de Dieu Ces archétypes communs (qui constituent l'inconscient collectif, seraient exprimés par chaque religion de façon différente mais toujours pour exprimer cette même symbolisation..

  5. Qui a peut avoir plusieurs DIRECTIONS. Il s’agit vraiment d’un échange multidirectionnel et les débats peuvent être très vifs. Ce Flux va dans toutes les directions.Par rapport à la pensée conventionnelle, qu'ON PEUT  définir comme l'art de se contenter de la deuxième meilleure, la pratique de la pensée intégrative nous aide à identifier plus de caractéristiques du problème que saillant, envisager la causalité multidirectionnelle et non linéaire, de visualiser l'ensemble tout en travaillant sur ​​les pièces individuelles, et rechercher des solutions créatives de tension

  6. docteurmaboule feint de ne pas savoir – refuse de savoir? – que depuis 1969 au moins, les victimes des Méthodes Educatives et Rééducatives Intensives (MERI) qu'on leur a "vendues" comme un soin médical/psychique  en usurpant le terme de "Thérapies" dans l'acronyme "TCC", viennent chaque jour plus nombreux peupler les salles d'attente des psychanalystes.
    En France, même démarche à l'oeuvre mais seulement depuis une vingtaine d'années, soit depuis que les MERI ont commencé à envahir le champ du soin psychique en tant que "Thérapies",
    "Thérapies" qui est un terme usurpé, je le rappelle, dès lors qu'il est accolé à "cognitivo-comportementales", puisqu'en réalité sur le terrain, les "TCC" ne sont que des Méthodes Educatives et Rééducatives connues depuis longtemps par les enseignants "spécialisés" mais qu'ils peuvent de moins en moins mettre en pratique en milieu scolaire "ordinaire" faute de moyens matériels et humains suffisants et qualifiés, faute de respect des promesses faites par les politiques dans le cadre des "Plan ceci " et autres "Grande cause nationale cela"…
    Rappel: 14 000 postes supprimés à l'EN à la rentrée prochaine, parcours du combattant pour monter un SESSAD, nombre de CLIS et dUPI en stagnation voire en régression, etc.etc.
    Bonjour la politique ambitieuse quant à l'intégration scolaire!
    Par son attitude, la France bafoue la CRDPH (Convention ONU Relative aux Droits des Personnes Handicapées) qu'elle a pourtant ratifiée et signée début 2010.
    Mais c'est un autre débat.
    Quoique…
     
    BJP

  7. BJP, vous déraillez de plus en plus… Je préfère encore vos interventions suintantes sur les blogs de patients…

  8. docteurmaboule feint de ne pas savoir – refuse de savoir? – qu'on recherche toujours ce qui nous manque le plus.
    En l'occurrence pour lui: ne plus avoir peur de ce qui est différent de lui, de celles et ceux qui sont différents de lui.
    BJP

  9. L’on peut toujours exiger qu’un éducateur soit titré psychologue, ça ne fera toujours pas de l’éducation un soin psychologique. L’on peut toujours appâter la Sécurité sociale en faisant miroiter que l’éducation adaptée aux enfants autistes lui épargnera par la suite des coûts supérieurs, mais cela ne changera toujours pas la nature d’éducation en nature de soin médical. Il faudrait savoir : l’éducation est un principe, que l’on soit en bonne santé ou non, ou c’est un soin médical. Si c’est un principe, la Sécurité sociale n’a rien à y faire, sauf coordonner de véritables soignants avec les éducateurs, et éviter que quiconque se croie tout-puissant à cumuler les deux fonctions.
     
    Genre vous voyez ah que je veux dire.
     
    Extrait de ke je me cite : http://lta.frdm.fr/192

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