Un feuilleton « dangereux » à partir du 10 octobre Par Heitor O'Dwyer de Macedo
Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement », lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.
Donc à partir du 10 octobre, du lundi au vendredi de chaque semaine, je revisiterai pour un temps une partie de l’œuvre dostoïevskienne.
Mon point de départ pour ce « feuilleton » a été l’idée que chez Dostoïevski, la grandeur ou la misère des personnages fondamentaux de l’œuvre accompagne la découverte qu’ils font de l’inconscient. Que les personnages soient construits à partir du trauma de la rencontre avec l’inconscient, est certainement une des raisons principales de leur pérennité. En nous appuyant sur ces personnages nous démontrerons que leur enseignement sur le trauma, le fantasme, la perversion, la folie nous apprend la vie vivante. Mon travail se concentrera sur deux textes Notes du sous-sol et Crime et Châtiment.
Bref rappel des faits et des enjeux :
Au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.
Cette loi s’inscrit dans le droit-fil du discours de Nicolas Sarkozy à l’hôpital d’Antony le 2 décembre 2008. Sont désignées par le Président de la République comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique.
Un collectif s’est constitué en décembre 2008, en réaction immédiate à ce sinistre discours présidentiel : « Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire »
Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire a immédiatement dénoncé le projet de cette loi en rappelant la pensée de François Tosquelles : Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie c’est l’homme même qui disparaît.
La loi instaure des « soins sans consentement », y compris « en ambulatoire », c’est-à-dire en dehors de l’hôpital, au domicile. Elle remplace les modalités actuelles d’hospitalisation et d’alternative à l’hospitalisation en promouvant toujours plus de contrôle et de répression. En effet, la notion de « santé mentale » utilisée notamment par les rapports gouvernementaux semble étendre le domaine des troubles psychiques à la simple exacerbation des sentiments, des émotions, aux peurs, à la tristesse, aux énervements, aux angoisses, aux ressentis et vécus douloureux, liés à des situations précises telles que le travail, une rupture, un deuil. De plus, l’évocation du « trouble de l’ordre public », entraînant la mise en place de soins psychiatriques sans consentement, comporte un risque de dérive pour les libertés individuelles.
Puisque, comme le disait récemment Leslie Kaplan, la folie concerne tout le monde, cette loi nous concerne tous.
Cette loi qui crée des « soins sans consentement » y compris à domicile, est un saut dans l’inconnu. Elle représente un risque de dérive particulièrement inquiétant car sont instaurés :
– des soins sous la menace d’une hospitalisation forcée en cas d’absence aux consultations ;
– des soins réduits à la surveillance d’un traitement médicamenteux, nouvelle camisole chimique ;
– des soins où la rencontre, la confiance dans la relation, la patience, la prise en compte de la parole, sont oubliées ou accessoires.
Nous savons bien que c’est la peur qui génère des réactions violentes chez certaines personnes ; or, cette loi engendre la peur des patients et la peur chez les patients.
Cette loi porte atteinte à la confiance entre le patient et le soignant : le soignant représentera en permanence une menace, une surveillance sur la liberté d’aller et venir du patient, car il lui incombera de signaler toute absence aux consultations et aux visites, sous peine de sanctions. Le préfet, saisi par le directeur de l’hôpital, enverra les forces de l’ordre pour contraindre la personne à une hospitalisation. Le malade devenant « un contrevenant », il s’agit donc de mettre fin au métier de soignant.
Bref, le gouvernement érige le trauma en projet de société. Mettre l’angoisse, le désir et la pensée à l’index est une nécessité inséparable de son modèle économique : le citoyen doit être un individu sans subjectivité, sans sensibilité, simple reproducteur anonyme des conditions de fonctionnement d’un système d’échange où il n’y a plus d’échange, qui produit le vide de sens dont la machine a besoin pour se perpétuer – et la princesse de Clèves peut aller se faire foutre. (1)
Donc, toute solidarité est résistance, toute fidélité aux nuances est résistance. Toute pratique d’amitié est résistance. Devant l’attaque systématique de tout lien social, nous sommes convoqués, en respectant nos fragilités et nos angoisses, nos rêves et nos désirs, à être des professionnels de la vie vivante, professionnels de la merveilleuse folie de la vie vivante. Nous sommes convoqués, dans nos domaines de pratique de pensée, à célébrer l’énigme et la liberté, la complexité et l’inédit de toute rencontre avec le monde. Devant la brutalité qui envahit notre quotidien nous essayerons, comme les poètes, de nous ressourcer dans l’éphémère de chaque instant. En même temps, nous serons déterminés et, si nécessaire, dans la colère, contre le mensonge et le cynisme, contre la simplification et la vulgarité – attitudes qu’on nous propose à la place du lien, attitudes avec lesquelles on espère transformer en banalité la tristesse du ne-pas-être-ensemble.
1 – «Dans la fonction publique, il faut en finir avec la pression des concours et des examens. L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! En tout cas, je l’ai lu il y a tellement longtemps qu’il y a de fortes chances que j’aie raté l’examen ! » – Nicolas Sarkozy pendant sa campagne aux élections présidentielles
J'apprécie beaucoup vos articles et réflexions, mais compte-tenu de l'urgence à réagir pour préserver la mission de soins et de suivi des patients, ne faudrait-il pas être plus simple, plus direct dans la communication?
Cela m'inquiète car rien ne change concrètement, c'est un peu comme les discours politiques, on parle on parle, on s'indigne, mais en attendant on se fait avoir comme ça!
La psychiatrie n'est pas une théorie , si belle soit-elle, mais aussi un soin indispensable pour certaines personnes. Peut-être serait-il utile de rappeler son intérêt pour les gens et la société?
enfin… très bien de le rappeler, mais comment fait-on pour éviter les dérives? quelles formes d'action autre que les manifs qui n'ont rien empêcher?
Bonjour et merci pour tous ces renseignements.
Je me permets de vous faire suivre, la thèse de ce jeune médecin, Louis-Adrien DELARUE, sur les conflits d'intérêts et la maladie d'Alzheimer :
THESE-DELARUE.pdf (Objet application/pdf)
DE LA MEDECINE GENERALE, seulement de la médecine générale: Louis-Adrien Delarue dénonce les compromissions systémiques des Agences Gouvernementales et fait l'honneur de la médecine générale.
Une réponse pour what_sprit.
Vous avez raison, il devrait être plus facile d’apporter les paroles justes qui évitent des malheurs que tout le monde connait. Mais cela ne doit pas être si facile que ça. Un bon ami à moi – historien de la science au CESIC à Barcelona, l’équivalent au CNRS en France – m’a envoyé l’annonce d’une réunion à l’Université de Lleida (Catalogne). J’ai fini là par parler de la relation, dès l’audience, pour mettre un peu de lumière là où je croyais qu’on pouvait commencer à ne rien comprendre… Et une philosophe bien soutenu par le pouvoir gouvernementale à l’époque m’a reproché de ne pas être suffisamment généreux pour le sujet malade auquel je proposais de demander une responsabilité possible, au cours de la relation que je proposais comme fondamental pour s’entremettre, pour se rencontrer au milieu de la difficulté du sujet malade face a l’autre. Le gouvernement que soutenait à la philosophe en question venait de décréter « la morte de Montesquieu » en Espagne (le politicien qui mentionnait un tel « assassinat » prétendait blaguer, ¡an plus !). Jon, mon ami, m’a dit : « Juan tu dis toujours la même chose, la relation… ». C’était 1998, le siècle passé.
Cela n’aurait servi à rien parler à Lleida de L’Idiot. Dostoïevski prétendait avec son personnage créer un Quijote sans la rage que saisissait à celui-ci. Sans trop chercher, je me rappelle de Lev Nikoláyevich Mishkin (L’Idiot) en essayant de concilier des positions apparemment non conciliables dans la société Russe. C’était bien humain cet Idiot, comme il l’était le Quijote. La rage… Bon, peut être il ne faut pas tomber dans la rage mais cela se paie lorsqu’on se voit confronté à l’humanité en précaire qui suppose le fou et l’insensibilité du traitement que mon société le donne. J’ajoute la maltraitance que reçoit ma propre folie, l’unidimensionnalité à laquelle ce pouvoir nouveau millénaire me voue ¡à nouveau ! Tenons le coup : c’est la meilleure des luttes.
Oui, une relation humaine pour la clinique psychopathologique : une relation qui fasse possible une compréhension qui nous permettra passer à autre chose mais en gardant l’espoir.
Pour ces petites considérations il m’a fallut me fâcher à nouveau avec la philosophe en question, me fâcher avec une certaine politique, appeler à Jon pour qu’il me rappelle l’année du congrès – cela faisait longtemps qu’on ne parlait pas, ça a été sympa –… et me dire que si j’aurais été au boulot dans l’hôpital où j’ai travaillé avant d’être retraité peut être je n’aurais pas eu le moment d’articuler ces mots que j’espère d’espoir.