De la santé mentale vers la psychiatrie
En liminaire, les trois bases indissociables pour une psychiatrie de demain non ségrégative :
– La nécessité d’une formation spécifique
– Des personnes humaines pour soigner plutôt que des techniques instrumentales.
-Un budget global avec une enveloppe spécifique pour soutenir la spécificité de l’abord relationnel princeps en psychiatrie.
Depuis le rapport Piel et Roelandt, la psychiatrie se doit d’aller vers « la santé mentale ».
1) A quoi correspond aujourd’hui ce terme de « santé mentale » ? Quelles sont les logiques sous jacentes et ses effets ?
2) Comment comprendre qu’actuellement, en s’appuyant sur la logique santé-mentaliste les acteurs du champ social prônent toujours plus de « déstigmatisation » par le biais de la santé mentale alors que les nombre de personnes enfermées à l’intérieur des HP ou bientôt à leur domicile, ne cesse d’augmenter ?
3) Si la santé mentale voulait initialement en finir avec l’asile, les nouvelles logiques asilaires ne seraient-elles pas maintenant au cœur de la cité, dans nos rues, nos prisons et bientôt au domicile de toute personne un tant soit peu en marge avec les SSCA ?
4) Comment comprendre les SSCA sinon comme une adaptation économique compensant la diminution des moyens accordés à la psychiatrie, notamment en terme de soins à temps plein ?
5) Les patients les plus fous et les plus démunis seront-ils la variable d’ajustement de notre nouveau modèle de gestion de la folie ?
Sous couvert de déstigmatisation, c’est le grand retour de la ségrégation pour les plus fous d’entre-nous.
Par ailleurs, dans le préambule du projet de loi, la prostitution des mots concoure à parler de continuité de « soins » et d’accès aux « soins » alors qu’il ne s’agit que d’un égal accès à la contrainte et d’une continuité de la contrainte dans tout le champ social pour qui se décalera un peu des normes en vigueur.
Aujourd’hui, la psychiatrie gestionnaire n’est qu’une version affadie de la psychiatrie sécuritaire du discours d’Antony. Gestion et sécuritaire sont dans un continuum implicite.
D’une santé mentale psychiatrique à une santé mentale néolibérale Le terme de « santé mentale » ne recouvre pas une seule et unique réalité.
Il y a une grande confusion
Dans son origine d’après-guerre, la santé mentale est le concept de psychiatres progressistes qui veulent transformer les systèmes asilaires, en premier lieu les hôpitaux psychiatriques, en pratiques ouvertes sur la cité. C’est l’avènement des pratiques désaliénistes et de psychothérapie institutionnelle, fécondées par la psychanalyse et la prise en compte de la dimension politique et sociale de la psychiatrie.Le tournant gestionnaire des années 1980 allant de pair avec le climat de rigueur budgétaire, la « santé mentale » se déterritorialise de son origine psychiatrique pour progressivement couvrir tous les troubles ou autres pathologies de « l’adaptation ». En parallèle, c’est le retour du modèle objectiviste avec les tentatives de faire coïncider les pathologies psychiatriques avec des anomalies neurologiques, génétiques etc.
Le tournant est net à partir des années 2000 quand l’OMS ouvre le chantier de la santé mentale et que la France entreprend sa politique de « démocratie sanitaire ».
La santé mentale devient un paradigme qui vide la psychiatrie de sa substance pour se consacrer depuis 2009 à « la santé mentale positive », reléguant les pathologies les plus lourdes à des filières de handicap chronique où les patients psychotiques seraient figés une fois pour toute dans leur maladie.
Dès lors, la santé mentale ne va plus s’occuper de pathologies psychiatriques mais devra se consacrer à rendre les individus performants dans un climat de concurrence mondialisée. C’est le rapport remis à NKM en 2009.
Le santé-mentalisme : déni de la réalité psychiatrique ?
Tout cela s’appuie sur la création de nouveaux concepts comme : « autonomie, bien être, santé mentale positive, qualité de la vie, déstigmatisation » qui vont s’agencer peu ou proue aux logiques sécuritaires actuelles.
Selon le rapport du centre d’analyse stratégique remis à NKM en 2009, la santé mentale devient « l’affaire de tous », sauf des psys, relégués à la prise en charge de la santé mentale négative. Ce rapport est essentiel puisqu’il agence les visées concurrentielles de l’Union Européenne (Livre Vert, stratégie de Lisbonne) et les visées hygiéniste de l’OMS (plaidoyer pour la santé mentale).
L’objectif est le suivant, je cite : « avoir une population en bonne santé mentale pour remplir les objectifs stratégiques de l’Union Européenne » (livre vert de l’UE). C’est donc par l’avènement de la santé mentale « positive » que ce cadre normatif doit se déployer.
Ces normes ont-elles encore quelque chose à voir avec le soin psychique ? C’est ce que pense des fondations comme FondaMental qui n’ont pourtant plus pour perspective de soigner réellement les patients mais bien plus de créer un modèle exploitable facilement par les décideurs politiques, afin de normaliser les comportements.
Pour simplifier, les pathologies psychiatriques se calqueront sur le modèle des pathologies médicales. Rappelons la phrase introductive au rapport Milon : « Aux vues des progrès de l’imagerie médicale et des neurosciences, la partition entre neurologie et psychiatrie n’est plus de mise à l’heure actuelle ». Cette analogie est tout simplement fausse en pratique, pour qui voit encore des patients au quotidien. Il n’y a qu’à penser les spécificités du déni, de l’articulation avec le contexte social et environnemental etc.
Créer un outil de soin psychique qui se pense et se remet en cause au quotidien ne va pas sans poser de problèmes actuellement : les normalisateurs patentés ont alors l’outrecuidance de nous dire que ce n’est pas comme cela qu’il faut faire… Cela s’appelle la «certification». Par exemple, les certificateurs s’intéressent plus dans les hôpitaux psychiatriques aux « infections nosocomiales » médicales qu’aux réelles maladies nosocomiales psychiatrique que sont l’agitation, la violence, la chronicisation, la passivité etc.
Les centres experts « FondaMentalistes » promus actuellement, censés faire un diagnostic et mettre en place un traitement sont un non sens en pratique et d’une simplification ravageuse.
Ce cadre santé-mentaliste diffuse dans le champ de la psychiatrie mais ne prend pas en compte ses spécificités, et notamment l’impossible « choix rationnel des acteurs » chez les personnes en proie à des crises de folie : voilà l’impasse de la santé mentale.
Les personnes les plus en difficultés, celles que l’Union Européenne dénomme comme « des personnes mentalement diminuées » ( !) ne maximisent pas leur capital santé mentale… Les logiques présidant à leur existence ne sont pas tout à fait les mêmes que les logiques des « gens normés ».
Par ailleurs, la logique de l’OMS, sous couvert de rendre les individus en bonne santé, crée des normes hygiénistes marquant le retour d’une police sanitaire pour conduire les conduites des individus. Injonctions qui nous détournent de plus en plus du cœur de notre métier, dans le même temps, tous les savoirs faire spécifiques, comme la nécessité du lien thérapeutique singulier, ne sont plus à l’honneur.
Attention, l’individu statistique qui est à la base des logiques actuelles n’existe pas dans la réalité de notre travail.
Les impasses pratiques
Avec les patients psychotiques « aigus du quotidien », les projets se construisent dans le temps, singulièrement avec un lien de confiance et pas dans des centres experts.
C’est le strict opposé du projet de loi de défiance qui nous est proposé, où les soins psychiques se résument à une prise en charge standardisée pour des patients déjà « normalisés », où les professionnels se voient déresponsabilisés de l’engagement singulier dans les soins : protocole, loi…
Dans le même temps, les pratiques psychiatriques réellement accueillantes sont « stigmatisées » car, n’étant pas dans la norme dominante mais aux plus près des patients, pris dans leur singularité.
A défaut, tomberons-nous dans l’avènement d’une psychiatrie contrôlitaire telle qu’elle est proposée ?
Enfermer ou normaliser ceux qui résistent à la rationalité dominante, cela provoque de la violence, de l’exclusion, des sujets qui n’ont plus la possibilité de tisser du lien social.
Le reste du santé-mentalisme
Pour tourner rond, la rationalité santé-mentaliste doit se débarrasser de ce qui lui résiste, à savoir les fous avec leur folie encombrante. Mais en résistant, le si médiatique «schizophrène dangereux » paye dans son corps ces normes sociales ségrégatives… Que ce soit en prison, en rééducation thérapeutique, dans l’errance des rues, derrières des hauts murs sécurisés ou qu’il soit muni de bracelets de géolocalisation ou autre !
Pour finir sur l’exemple de l’implicite du modèle gestionnaire sécuritaire actuel : tous les termes politiquement corrects masquent un implicite de mise à l’écart des plus fous comme il a été formulé très tôt, en 2003, dans le rapport Cléry Melin : la question était posée de savoir ce que la société doit choisir : soigner le plus grand nombre ou soigner les personnes les plus gravement atteintes ?
Conclusion
Si les politiques ne s’interrogent pas sur cette « santé mentale » qui tente d’éradiquer ce qui lui résiste au cœur de la psychiatrie, les contrées ségrégatives pour la Folie continueront à se multiplier et auront vite fait de la transformer en Furie. Furie qui, à défaut d’être canalisée par les UMD, les injonctions de soins, les camisoles de force, les cellules d’isolement, ne pourra s’apaiser que dans leur mise au ban de la société.
Mathieu Bellahsen, psychiatre responsable de l’unité d’hospitalisation Alberto Giacometti, secteur de psychiatrie adulte 91G08