Actuellement il est intéressant de constater que c’est à partir de faits divers meurtriers, les assassinats à l’hôpital de Pau, le passage à l’acte meurtrier d’un patient dit schizophrène à Grenoble l’an dernier, de leurs commentaires par la presse d’une part et des réponses ministérielles et présidentielles d’autre part, que se produit un mouvement de rassemblement de la psychiatrie française.
Sans ces faits hors limites en serions là aujourd’hui ?
Sans la diffusion médiatique d’informations autour de ces faits en serions-nous là aujourd’hui ?
Sans les réactions et réponses face à ces évènements, largement commentés par la presse, de Monsieur Nicolas Sarkozy, ministre ou président en serions-nous là aujourd’hui ?
Sans la portée au devant de la scène des réactions du président par les média en serions-nous là ?
Autrement dit « la psychiatrie française » ne peut-elle se mobiliser nationalement que dans les situations limites, ne peut-elle s’organiser que contre l’outrance ? Une outrance médiatisée donnant à voir et à entendre.
Avons-nous besoin d’être sous la contrainte du dicta médiatique et de l’esbroufe d’un seul, représentant d’un pouvoir régalien pour nous rebeller un peu plus haut et un peu plus fort ?
Pourquoi faut-il l’outrance pour que l’action commence ? Faut-il être au bord ou au-delà des catastrophes pour que nous puissions nous réveiller ?
Nombre de psychiatres du service public ces derniers mois ont rappelé combien ils n’ont cessé de travailler et de militer pour une psychiatrie humanisée. Comment se fait-il que leur travail n’ait pu être relayé par l’ensemble des secteurs et intersecteurs de France et des dom-tom, avant la mise en route de cet appel des 39 ?
Sous quel joug sommes-nous ? Dans quoi sommes nous tous empêtrés au point ne pouvoir réagir, se retrouver, débattre que contre un pouvoir politique qui affiche clairement son incapacité à comprendre l’humain autrement que derrière l’œil de la caméra ?
En 1977, Michel Foucault écrivait dans Archives de l’infamie, petit texte qu’il destinait à la préface d’un livre à venir : « Comme le pouvoir serait léger et facile, sans doute à démanteler s’il ne faisait que surveiller, épier, surprendre, interdire et punir ; mais il incite, suscite, produit ; il n’est pas simplement œil et oreille ; il fait agir et parler ».1
Qu’est-ce qui a empêché une mobilisation nationale soutenue dans le temps ? Aurions-nous oublié que lorsque l’on défend la psychiatrie, lorsqu’on défend ses malades dits fous, nous défendons notre propre liberté ? Le « fou » n’est-il pas le paradigme de notre part obscure ? Est-ce à nouveau à ne plus vouloir accepter cet « Umheimliche » que le combat avait à nouveau cessé pour la psychiatrie ? Ne pouvons-nous lier cet aveuglement, cette mise sous le boisseau de la part étrangère de nous-mêmes, à une nouvelle vague de résistance à la psychanalyse et à l’éviction de celle-ci dans les lieux de soin ? Éviction qui serait un effet de discours de plus en plus nombreux à nier la faillibilité de l’être, des discours de la performance toujours perfectible. La mise à l’écart de la psychanalyse n’est-elle pas liée, au discours de la science, sous l’espèce notamment de la pharmacologie qui exclue le rapport de la pensée d’un sujet à sa « maladie mentale » ?
De quels discours sommes nous les contraints pour que nos paroles n’aient pu être entendues, voire que nous ayons cessé de dire haut et fort quelque chose d’un engagement ?
Travailler dans le secteur public psychiatrique n’est pas un exercice aisé, cela suppose de jouer avec les discours et ceux qui les soutiennent.
Si en tant que sujet nous sommes dépendants des signifiants de notre histoire, en tant que citoyen nous sommes pris dans les discours qui animent notre quotidien. L’institution que constitue un secteur de pédopsychiatrie est conditionnée par un certain nombre de discours. En qualité de clinicien dans l’espace d’un secteur nous sommes individuellement soumis aux discours qu’y s’y pratiquent. Une question se pose alors quelles sont, pour chacun d’entre nous, nos possibilités d’action ? Comment articuler ses actions avec les autres acteurs ?
L’intersecteur de psychiatrie est aux confins de nombreux discours. Chaque service avec son médecin chef prend position par rapport à tous ces discours. Et chaque clinicien se positionne dans le cadre du service dans lequel il travaille. Chaque clinicien est aussi soumis plus ou moins à l’étiquette de son diplôme et de sa formation. Même dans le meilleur des cas, l’adhésion ne peut être constante et totale à la ligne directrice choisie par le médecin responsable. Chaque clinicien est donc lui-même pris dans ce jeu des discours, il a à se positionner à l’intérieur même de l’institution dans laquelle il travaille. Autrement dit le positionnement se fait aussi bien dans l’institution de soin que dans le champ social dans son ensemble.
L’intersecteur est à la croisée des chemins, de l’éducatif, du pédagogique, du social, du médical, du psychologique, du psychiatrique, du psychanalytique, du juridique, du politique et du financier. L’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile est un organisme public financé par des fonds publics et soumis à la politique de soin du ministère de la santé. Quelle marge de manœuvre avons-nous face à des préconisations émanant du ministère. Il est instructif de se prêter à la lecture des différents rapports, circulaires etc. qui sont en ligne sur le site du Ministère de la santé et des sports.
Nous avons à nous positionner en rapport avec la mission dont est chargée la psychiatrie publique et avec l’orientation que nous souhaitons donner à nos actes. L’exercice est rarement aisé.
Dans le rapport de septembre 2003, du Docteur Philippe Clery-Merlin assisté des docteurs Jean-Charles Pascal et Viviane Kovess-Mafety, on peut lire par exemple qu’il est préconisé de « former la communauté éducative 2à la promotion de la santé mentale et au repérage des problèmes ». Un partenariat des CMP des intersecteurs et de l’éducation nationale est recommandé, je cite : « que ces dépistages (des enfants présentant des troubles relationnels) soient inclus dans tous les bilans faits en milieu scolaire et que ces troubles soient pris en compte dans toutes les enquêtes de santé faites dans ces milieux ». 3
Sur ces rapports et circulaire, qui sont en ligne sur le site du ministère, on dicte aux professionnels la façon dont ils doivent agir. Il est par exemple préconisé, avec les familles qui auraient un enfant susceptible d’être autiste, de les diriger vers les espaces spécialisés pour le diagnostic de l’autisme mais on ne doit pas leur dire que leur enfant est autiste. Autrement dit on met les professionnels qui vont accueillir l’enfant face à une situation impossible. Comment espérer voir évoluer certains petits enfants si un lourd signifiant vient les marquer dés avant toute tentative de travail avec eux ?
Si dans la pratique tant au quotidien que dans des réunions institutionnelles on n’interroge pas ces recommandations voire les directives ministérielles, à quoi participe-t-on ? L‘enfant, les enfants se retrouvent au centre d’un dispositif de bilan et d’évaluation. Nous faisons ainsi de l’enfant l’objet de nos pratiques et non plus le sujet.
Autrement dit quels liens pouvons-nous entretenir avec les différents acteurs du terrain où évolue l’enfant pour que notre action soit éminemment politique ? Politique au sens où il y a lieu de défendre dans la cité une parole qui se défalque un tant soit peu des discours du pouvoir, d’un pouvoir administrant en l’occurrence. Un pouvoir qui saurait peut-être ce qu’est la santé mentale.
Comment trouver un chemin qui ne soit pas directement contre, qui ne soit pas contre le pouvoir, dans un jeu de miroir ? Comment trouver un chemin autre, décalé ?
Peut-être avons à travailler à l’intérieur même des institutions nos rapports aux discours ? Les travailler ces rapports au sein même de l’institution mais aussi avec tous ceux, qui comme nous, accueillent des enfants. Essayons de poursuivre et d’inventer, poursuivons le débat dans des lieux de parole comme celui d’aujourd’hui mais aussi au sein des institutions.
Il ne suffit pas de dire que l’on peut écouter autrement un enfant, sa famille, en permettant le travail de l’inconscient. Il est nécessaire d’inscrire le travail de l’intersecteur dans le tissu social par notre parole et par la façon dont nous la faisons jouer et circuler dans la cité. La psychanalyse est politique quand elle dynamise la circulation des différents discours et permet au sujet de s’y repérer.
1.Collectif Maurice Florence. Archives de l’infamie. Les prairies ordinaires. Paris 2009.
2. C’est moi qui souligne.
3. On peut lire aussi par exemple pour ce qui concerne « l’autisme »: « PLAN AUTISME 2008-2010 : Dossier de presse, Vendredi 16 mai, Construire une nouvelle étape de la politique des troubles envahissants du développement (TED) et en particulier de l’autisme(…)
9. Elaborer des recommandations de pratique professionnelle et évaluer leur mise en œuvre : La HAS et l’ANESMS seront chargées, chacune pour ce qui les concerne, d’élaborer ces recommandations. Pour évaluer les pratiques, un programme d’évaluation sera mis en œuvre par la HAS à destination des professionnels de santé. De leur côté, les établissements médico-sociaux seront encouragés à entamer des recherches actions, avec l’appui de partenaires scientifiques extérieurs, afin d’évaluer leurs procédures de prises en charge. (…)
13. Expérimenter un dispositif d’annonce du diagnostic qui facilite l’orientation et l’accompagnement des familles : l’annonce du diagnostic doit être l’occasion pour les familles d’être informées sur les prises en charge existantes, les aides possibles et d’obtenir un soutien psychologique si elles le souhaitent. Un cahier des charges national sera conçu et donnera lieu à un appel à projet pour des expérimentations locales et permettront de concevoir différents supports d’information à destination des parents lors de l’annonce du diagnostic. (c’est moi qui souligne)
Françoise L. Meyer
Psychanalyste
Intersecteur de Saint-Denis 93