Article publié Le 12 avril 2008
Par DIATKINE Anne
- http://www.liberation.fr/week-end/010178530-l-autisme-n-est-pas-une-fatalite
Jacqueline Berger a été, durant quinze ans, éditrice à Libération . Entre sa vie au journal et sa vie personnelle, l'étanchéité était de mise. Le 24 Mai 2002, elle fait cependant paraître un article intitulé "Nos enfants attendus nulle part". Elle y décrivait la souffrance des enfants inadaptés qui restent toute la journée, sans soins, au domicile de leurs parents, faute de structures pour les accueillir. L'article a fait grand bruit et a ému durablement. Elle a ensuite écrit sortir de l'autisme (Bouchet-Chastel, 2007) qui mêle réflexions, parcours personnel, questionnements et théories.
«Sortir de l’autisme»?: le titre de votre livre peut sembler une contradiction dans les termes, tant la définition courante de l’autisme est un enfermement. Pourquoi ce titre?
A travers ce titre, je revendique la possibilité d’une évolution positive des syndromes autistiques, lorsqu’on a repéré chez un enfant des symptômes de retrait. C’est un travail long et épuisant mais qui porte ses fruits pour peu qu’on en finisse avec la conviction que l’état autistique est une fatalité?: un défaut indépassable de gènes ou neurones défectueux. La vertu de cette conception organique serait qu’elle déculpabilise l’entourage. Le petit autiste ne serait pas pris dans une histoire, il est porteur d’un fichu gène qui s’exprime mal, on ne l’a pas encore trouvé, mais un jour viendra … Or, je ne crois pas qu’il soit forcément accablant d’essayer, non de trouver une cause aux symptômes de son enfant, mais de démêler les noeuds de son propre passé et de ce qui a pu dévier dans la relation à son bébé. C’est parfois infinitésimal. La dépression d’un nourrisson n’est pas évidente à percevoir quand on est pris dans le cataclysme de la naissance. Cependant, pourquoi est-ce que les bébés ne pourraient pas connaître cette détresse familière aux adultes? Et s’il y a dépression, comment influe-t-elle sur le développement du petit humain? Paradoxalement, s’il y a un répit dans les blessures narcissiques constantes qu’inflige le regard des autres, j’en ai plutôt fait l’expérience en parlant avec des psychanalystes. Je n’ai jamais eu le sentiment que l’enjeu était de reconnaître sa responsabilité ou de s’en disculper. La psychanalyse a mauvaise presse entre autres parce que ses résultats ne sont pas évaluables, mais elle est l’un des rares lieux où les parents d’enfants «différents» ne sont pas devant un tribunal.
Votre livre est un récit théorique qui part de votre expérience pour réfléchir sur la manière dont la société envisage la déviance aujourd’hui
Je suis mère de jumelles qui ont eu des syndromes autistiques et qui sont aujourd’hui sorties de ce puits. C’est-à-dire qu’elles parlent, qu’elles sont en relation avec autrui, qu’elles font du théâtre, qu’elles prennent plaisir dans des moments de la vie quotidienne, même si leur temporalité n’est pas la même que la vôtre. C’est tout ce que je dirais sur mes filles qui n’ont ni envie ni besoin d’être qualifiées d’ex-autistes. Pour moi, c’était la difficulté?: partir de mon expérience sans m’approprier leur histoire. Mes filles, mais aussi les autres enfants autistiques que j’ai pu rencontrer, m’ont transformée. J’ai la conviction que les «fous» qui sont de nouveau relégués, cachés et parfois maltraités comme au début du siècle dernier, ont beaucoup à nous apprendre. Ne serait-ce qu’il y a trente ans, la pensée était en ébullition à son contact.
Ce qui s’est rigidifié, c’est notre perception ?
Pas uniquement. L’intelligence n’a pas déserté, mais elle est plus individuelle, faute de structure financée. Le désengagement de l’Etat a des conséquences terribles?: les parents n’ont aucun choix, bienheureux déjà s’ils ne doivent pas garder l’enfant chez eux. Cette absence de choix est le leitmotiv du film de Sandrine Bonnaire, Elle s’appelle Sabine. Mais on peut aussi l’entendre dans la parole des psychiatres, quand elle revient dans les hôpitaux psychiatriques où sa soeur a été internée (Libération du 29 janvier). Outre l’indigence des réponses, ce qui frappe c’est leur impuissance, due à la pauvreté des moyens humains dans les hôpitaux psychiatriques. Faute d’avoir des personnes disponibles pour soulager les crises et mettre des mots sur la colère, c’est-à-dire reconstruire un lien, on administre une camisole chimique, on prescrit une sismo – c’est-à-dire un électrochoc nouveau genre -, on met le patient sous clef. C’est inévitable : un soignant seul ne peut pas s’occuper de vingt personnes. Réciproquement, ce que son documentaire révèle, c’est que lorsqu’il y a des éducateurs pour lui parler et la contenir, Sabine va mieux, ses doses de médicaments sont réduites de moitié. Je ne fais pas un procès contre les médicaments, je comprends bien qu’ils peuvent être utiles, mais pour soigner une maladie du lien, on peut difficilement faire l’économie de la relation à autrui, donc de personnes. Or toutes les associations et institutions lancent un SOS, quelle que soit leur chapelle?: leurs crédits pour employer des gens sont supprimés. Quand on interroge des jeunes en banlieue qui ont connu un parcours tortueux, un sur deux est devenu éducateur. La plupart du temps sans emploi, bien que les associations aient un besoin vital d’eux.
Tout le monde peut s’occuper d’enfants autistes?
Tout le monde ne fait pas le même travail et n’a pas la même fonction, mais malgré le peu de formation, des jeunes gens en errance se révèlent des interlocuteurs précieux, à condition que la relation s’inscrive dans la durée et qu’eux aussi trouvent leur place. La vie des parents d’enfants exclus est faite de bricolage. On a besoin des associations qui sortent les enfants de chez eux, leur font faire de la peinture, les initient aux rollers, les conduisent à leurs rendez-vous de soins, quand soins il y a. Or, beaucoup disparaissent faute de moyens. Concrètement, les associations fonctionnent grâce aux contrats aidés pour l’emploi, qui sont menacés de disparition, après avoir été déjà drastiquement réduits. Le tête-à-tête constant des enfants avec leurs parents, voire avec leur mère seule, est redoutable pour les uns et les autres.
Le point commun entre votre livre et le documentaire de Sandrine Bonnaire, c’est le mouvement : vous décrivez des enfants qui rompent leur carapace et font des efforts considérables pour entrer en relation.
L’autisme est une maladie du lien. La comparaison s’arrête là car il y a autant d’autismes que de personnes souffrant de cette pathologie. On a tendance à confondre l’état toujours singulier d’une personne, et ses symptômes – l’enfermement, l’absence de parole, les jeux répétitifs, le regard apparemment indifférent, la violence. Ce n’est pas parce qu’une terreur s’exprime de la même manière – je ne peux pas prendre l’avion – qu’elle raconte la même histoire et signifie la même chose chez toutes les personnes qui la subissent. On sort de l’autisme, on y entre, on y retourne, je n’ai aucune recette miracle et je n’ai pas la prétention de faire l’apologie de mon expérience personnelle ni même des institutions que j’ai pu connaître et pour lesquelles j’éprouve de la gratitude. Sortir de l’autisme ne veut pas dire guérir de l’autisme, comme on peut guérir d’une grippe. Il ne s’agit pas de prendre modèle sur le corps et la manière dont les maladies peuvent disparaître. Mais de prendre en compte la plasticité du psychisme humain. Les «autistes» ne sont pas programmés pour rester enfermer dans leur structure ni à l’être par essence. En revanche, la fatigue, un élément qui peut sembler anodin, une rencontre qui réveille un souvenir, peuvent provoquer un besoin de repli et engager une régression. Exactement comme tout être humain est parfois prisonnier de sa structure névrotique, psychotique, ou autre, en fonction des chaos de la vie. On fait tous l’expérience de «rechute». Je défends l’idée qu’il n’y a pas tant de différences entre les personnes autistiques et les autres, le pathologique et le normal, mais un continuum. Les gens «normaux» aussi se replient quand ils sont agressés. Ce que j’observe chez certains enfants autistiques, c’est une hypersensibilité. La peau n’est plus une enveloppe protectrice. Ou pas suffisamment. Du coup, le moindre lien peut être violent ou trop envahissant, et il faut du tact, de la patience, mettre des baumes. Des baumes métaphoriques aussi?: des mots. Petit à petit, au fil des années, l’enveloppe se solidifie, le moi risque moins de s’éparpiller au contact des autres. Qui du coup est un peu moins exténuant et moins dangereux. C’est du moins mon expérience : mes filles se sont un peu plus blindées, tout en gardant une capacité hors du commun à saisir les pensées d’autrui. Je vois aussi qu’elles sont épuisées quand il y a eu trop de gens autour d’elles et qu’elles ont fourni un effort faramineux pour être sociables.
Comment se déroule le quotidien, dans les lieux communs ?
Tous les parents d’enfants autistiques connaissent l’angoisse du square lorsque leur petit se roule par terre en avalant de la terre. Il faut beaucoup de sang-froid pour résister aux jugements des témoins et trouver les mots qui mettent du sens sur la scène. Si on ne réussit pas cette mise à distance, on risque d’être soi-même violent. Autre lieu terrible?: les salles d’attente. Tout le monde se regarde. L’enfant tente de se tenir. Puis explose. La tension est extrême. Le souci de rentabilité maximum ne nous aide pas?: il est remarquable que la SNCF ait supprimé le wagon de jeux sur les grandes lignes. Qu’est-ce qu’on fait avec un enfant qui affole les gens normaux dans un compartiment??
Vous mettez en question le terme handicap ou de maladie pour qualifier l’autisme.
Tout se passe comme si, obsédé par la recherche d’une cause génétique, on ne comprenait plus la différence que comme un handicap. Handicap signifie une déficience de l’individu et de lui seul. Si on répète à un enfant de 2 ans qu’il est handicapé, on risque de l’enfermer dans une image de lui-même difficilement dépassable. De même, il y a une violence terrible à prévenir la délinquance en la dépistant dès le plus jeune âge. Comment peut-on envoyer une telle pulsion de mort à un enfant, sans jamais s’interroger en quoi ces troubles sont les symptômes de notre temps?? Les capacités autoréparatrices de l’être humain sont laissées en friche. Or, je suis persuadée que le combat des autistes est valable pour nous tous. J’ai écrit ce livre parce que notre regard est devenu très enfermant. Sous couvert d’empathie, il est destructeur pour les enfants eux-mêmes. On ne fonctionne plus qu’à coups d’émotion. C’est très bien d’être ému, mais comment remettre de la pensée là où il n’y a plus que des larmes?? Les enfants autistiques ne demandent pas à être plaints. Ils ont beaucoup à nous apprendre sur le langage, comment il s’installe ou non, sur son peu d’évidence. Ils sont au coeur des interrogations sur l’existence et sur comment le petit humain se développe. La créativité est aussi dans la déviance. Bien sûr, on trouvera toujours des gens – soignants, philosophes – qui réfléchissent. Mais les budgets ne vont pas aux sciences humaines. Ils vont aux sciences dites objectives?: aux neurosciences ou à la recherche génétique. Or, les recherches les plus avancées en neurosciences démontrent que l’homme est déterminé pour ne pas être déterminé ! Autrement dit, qu’il n’y a pas de cause finale.
Vous racontez comment les parents d’enfants autistiques doivent sans cesse organiser l’avenir de leur enfant avec la crainte qu’il n’existe aucune place pour lui …
J’ai vécu cette errance de porte fermée en porte fermée. Dès qu’on a trouvé une place dans un lieu (institution, hôpital de jour, institut médico-pédagogique), on est obligé d’imaginer la suite?: où sera l’enfant à l’adolescence?? Ma chance a été de rencontrer des soignants qui m’ont dit qu’ils ne savaient pas. Ils ignoraient ce que mes enfants deviendraient et comment ils allaient évoluer. C’est très douloureux de recevoir une telle réponse. Mais l’entendre, c’est accepter que le chemin est à faire et qu’il n’est pas tracé d’avance. Lorsqu’on comprend qu’il faut se préoccuper de l’ici et maintenant, que tout se joue au jour le jour, quelque chose de joyeux advient. Les enfants autistiques sont déjà écrasés par la peur. De plus, ils doivent subir l’angoisse de leur entourage. Quand on réussit à la mettre de côté, on fait un grand pas. Encore une fois, le modèle n’est pas celui de la médecine, il n’y a pas de prédiction, ni de prévention, à propos de la pensée. Elle n’est pas mécanique.
Vous semblez trouver vaine la recherche des causes génétiques ou organiques de l’autisme.
De manière sous-jacente, il y a la conviction que lorsqu’on aura trouvé la cause, on pourra éradiquer les déviances et créer quelqu’un qui réagit «normalement». Ainsi, exige-t-on des enfants non seulement normaux, mais performants. Nombre de parents et médecins sont obligés de faire alliance avec le diable, de lisser le comportement des enfants avec des médicaments afin qu’ils ne soient pas exclus du système scolaire. Mais encore une fois, je souhaiterais juste que les parents puissent avoir le choix entre les différentes thérapies possibles. Les psychiatres qui ont une formation analytique se raréfient. Les comportementalistes vous expliquent comment faire disparaître le symptôme de votre enfant en quelques semaines. Or, il y a de fortes chances que ce symptôme réapparaisse sous une autre forme. Je préfère penser que les productions de crise ont un sens.
Vous critiquez la possibilité, mise en place par Ségolène Royal, de mettre les enfants autistes dans le circuit scolaire national quelques heures par semaine.
Cette mise en place part d’une bonne volonté … mais les moyens n’y sont pas. Que peut faire un instituteur, qui doit s’occuper de vingt-cinq élèves, avec un enfant autiste qui demande énormément d’attention?? Cela nécessite non seulement qu’il soit formé mais que l’enfant soit accompagné d’un autre adulte, lui aussi formé et présent en continu. De plus, la présence de l’enfant autistique à l’école n’a de sens que si l’échange avec ses camarades est possible. Pour cela, il faudrait que l’instituteur prenne le temps de réfléchir avec les enfants sur les diverses manières de grandir. Faute de quoi, l’enfant autistique est dans son coin, perturbe la classe, et ses incompétences lui sont encore une fois démontrées. Contrairement à Sandrine Bonnaire, vous n’êtes pas à la recherche du diagnostic …Il n’est intéressant que s’il permet de mettre en place des soins. Et si on l’oublie aussi vite. Il s’agit toujours de nommer … sans enfermer.
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Conférence proposée par l’association APARTE le vendredi 28 mars 2008 à Dax.
« Sortir de l’autisme » de Jacqueline Berger
La conférence est aussi animée par le docteur François Claus, Jacques Serfass, psychiatre d’enfant interlocuteur de parents et Stéphane Bernadiou, infirmier à l’hôpital de jour du service psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Ils accueillent Madame Jacqueline Berger, journaliste à Libération et mère de deux jumelles autistes âgée de 16 ans.
Dans ce contexte difficile d’exercice de la psychiatrie, le docteur Claus perçoit ce livre comme réconfortant. Il introduit la conférence par cette citation : « L’autisme est une notion terrible, je préfère dire que mon fils a sa logique. » S’ensuit un jeu de questions-réponses entre les professionnels et l’invitée. Mme Berger ne souhaite pas témoigner mais sortir justement de cette émotion pour mieux échanger. Son livre n’est pas un recueil de recettes concernant l’autisme mais le tracé d’un long chemin douloureux.
1/ S.B : « Sortir de l’autisme ». Le peut-on et vers où ? Pour quoi et pour qui sortir de l’autisme ?
J.B : Ce n’est pas guérir de l’autisme mais un chemin est possible, sortir de l’enfermement. Je pense à une idée de dynamique. La deuxième raison à ce titre est de toucher un public plus vaste, pour changer les regards et la question du regard est ô combien importante car elle touche directement les enfants. Ce livre pointe un combat et la complexité de la problématique autistique. Si la cause est génétique : quel chromosome et quelle partie de chromosome ? Si la cause n’est pas génétique, ce serait un problème de neurones, de connexions…
2/ J.S : Si dans votre livre tout est quelque chose de « sortir de…. » , qu’est-ce qui s’est passé pour « entrer dans… » la pathologie autistique ?
J.B : L’autisme n’existe pas au sens où il y a autant d’autismes que de sujets atteints. Oui, il existe des signes communs, des symptômes visibles mais ce n’est pas pour autant qu’il y ait une cause commune. Nous passons trop d’années à chercher une cause. L’idée est de trouver une solution et beaucoup…dans l’ici et maintenant.
3/ F.C : Vous faites une revue des causes possibles. Je cite : « Je préconise de tourner le dos à la recherche des causes, quête illusoire , effets pervers… »
J.B : Des effets pervers car il y a l’idée qu’on ne peut pas considérer les troubles autistiques, infantiles sur le modèle du corps, que l’on ne peut pas considérer l’apprentissage du langage, la communication comme une connexion. Ce n’est pas comme la fièvre.
Un effet pervers car il y a une exclusion non dite, pas de places dans un établissement dans la réalité. Avoir le choix, avoir des places est une utopie aujourd’hui. La colère monte face au rejet, à l’absence d’accueil. Il est question de la science qui se perfectionne et qui nie des souffrances plus d’ordre psychique, relationnel, proprement humaine. On s’intéresse à sauver les bébés prématurés et pas à leurs devenirs.
4 / J.S : Il est impossible à la science de chercher des causes. Toute expérience laisse une trace.
J.B : Quand bien même nous aurions connaissance de la cause, nous n’aurions pas de meilleures indications sur la façon de soigner. Se pose la difficulté primordiale de la relation puis de la diversité de l’autisme.
5/ J.S : On a trouvé la cause du mongolisme et on ne savait pas si c’était génétique ou mental. Si on trouvait la cause de l’autisme, ça ne changerait pas la question de soigner ?
J.B : Aujourd’hui, nous tenons un discours classificateur. Il n’y a pas de destins communs. Et oui, il reste tout à faire chez l’enfant de trois ans. Quand nous comprenons ce qui se passe chez son enfant alors nous prenons un grand chemin avec lui. L’enfant n’est jamais assuré de son existence. Il faut sortir de l’idée que tout se joue avant 3 ou 5 ans. La question de l’avenir de son enfant se pose pour tous les parents.
6/ S.B : Vous parlez d’une rencontre avec la psychanalyse, en quoi est-ce une ressource pour vous ?
J.B : C’est d’abord la rencontre avec un psychanalyste. Un savoir existe mais il est menacé or on donne un sens aux choses. Quand on commence à accepter, on avance.
7/ J.S : Un savoir menacé, pourquoi ?
J.B : La rencontre avec ces enfants est d’abord médicale. Elle est moins tournée vers le donner du temps pour laisser comprendre. Or trop vite, il faut mesurer, cataloguer, étiqueter.
J.S : Beaucoup de parents remplissent un questionnaire. Il s’agit de la souffrance de l’enfant et de la souffrance de la famille lorsque la médecine prend en charge la psychiatrie.
J.B : Les parents préfèrent la case handicapé que maladie mentale.
F.C : Les parents n’ont pas le choix. Ici, à l’hôpital pédo-psychiatrique, on part de la nature de l’enfant, des besoins. Il existe un clivage avec le « centre de ressources autisme » où les personnes qui établissent le bilan sont différentes de celles qui prescrivent le traitement. Or le traitement commence par une rencontre.
J.B : Je pense que c’est une mauvaise affectation des moyens. Les papiers, les classifications sont renforcés.
J.S : Au sein même des psychiatres, les prises de positions peuvent être catégoriquement opposées. Pour certains, le diagnostic est essentiel contrairement à d’autres.
J.B : Le repérage précoce est intéressant dans la mesure où les soins sont immédiats. Or la demande légitime est transformée en bureaucratie.
J.S : Je reçois depuis 3-4 mois une maman et son fils qui pose problème. Cette maman est allée au centre de ressources à Marseille pour un diagnostic et elle est rentrée déçue. Il lui a été dit que son fils est autiste à 60 % . Alors, j’ai demandé quels étaient les soins conseillés . Ce sont exactement les mêmes que ceux que nous lui conseillions. Il s‘agit d’une perte de temps et pas d’un réel centre de ressources.
F.C : Se pose le problème de la multiplication des AVS ? En quoi l’intégration scolaire est-elle un leurre ou un mythe ?
J.B: Je suis pour l’idéal de l’intégration mais on ne tend pas vers ça. L’intégration ne se décrète pas. Il est question de l’accompagnement, de la formation, d’intégration réelle ou pas. Il faut travailler dans tous les secteurs.
Tous doivent s’interroger. Un enfant autiste perturbe beaucoup. Est-ce une intégration pour faire plaisir aux parents, pour se rassurer ou pour l’enfant ? Dans une dynamique ou pas. Je m’interroge sur l’Education nationale. Comment intègre-t-on ? effectif réduit dans la classe ?
L ’ intégration est nécessaire pour sortir de l’ isolement mais de façon pensée dans l’intérêt de l’enfant.
J.S : Les associations de parents d’élèves pèsent fortement sur le pouvoir public, sur la poussée de scolarisation en milieu ordinaire avec AVS. Or les AVS pullulent. Certes, elles ont de la volonté mais elles sont sans formation.
J.B : Je partage votre point de vue. C’est une politique des bons sentiments. Une AVS coûte moins cher qu’un hôpital de jour.
S.B : Certains enfants ne peuvent pas être scolarisés.
J.B : Mais la demande est forte car le monde pousse à la normalité. Parfois, passer par le milieu extraordinaire est plus facile que par le milieu ordinaire même si c’est difficile à dire.
Pot-pourri de réflexions avec le public.
Les autistes sont des enfants qui cassent le temps. Il n’y a pas de handicap mental mais seulement un handicap physique car le mental bouge, change. Notons la plasticité du réseau neuronal alors que l’étymologie du mot handicap est figée. Dans le domaine des soins, il vaut mieux se fier à des rencontres plutôt qu’au métier ou au savoir de la personne. Quelle que soit la violence des parents, il est important de ne jamais juger, d’entendre des paroles douloureuses et de s’interroger sur les capacités à les entendre. Veillons à faire en sorte que des rencontres soient possibles. Pourquoi ne pas inventer des nouveaux modes de dialogues entre les professionnels et le social ?