Depuis sa création, en 1985, le centre de jour Antonin-Artaud offre, à Reims, une vision humaniste de la psychiatrie. Son fondateur, Patrick Chemla, militant dans le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, mêle ses patients à cette réflexion qui les concerne en premier lieu : le sort que l’on réserve aux fous dans notre société.
Reims (Marne), envoyée spéciale. «Que s’est-il passé cette semaine ?» Olivier embraye : «Il y a eu des élections au Maroc et en Égypte, remportées par des partis qui se réclament de l’islam modéré et veulent instaurer la charia…» Au centre de jour Antonin-Artaud, comme chaque mercredi depuis quinze ans, le forum d’actualité commence, animé par un infirmier. «En France, l’équivalent, ce serait Bayrou ? » tente une petite voix, vite interrompue par Vincent, qui, debout, finit de rouler sa cigarette, une lueur de révolte barrant ses yeux gris-bleu : « Tout ce qu’on sait, c’est que ça n’a jamais rien donné de bon de mélanger la religion à l’État !»
La revue de presse passe du coq à l’âne. Sébastien a la mémoire des chiffres, Fred un goût prononcé pour les contre-pouvoirs. Pour Vincent, « les médias veulent faire de nous des moutons », et il « faut mettre un grand coup de pompe dans la fourmilière ». Un thème retient néanmoins l’attention collective : la folie. Il est notamment question du tueur d’Oslo et d’un reportage de France 3 sur l’unité pour malades difficiles (1) de Sarreguemines. « On voyait les patients, visages floutés, qui refusaient leurs médicaments, et le journaliste racontait qu’ils frappaient les infirmiers », relate Clément, sous le regard horrifié de l’assemblée.
Ici, on est loin du schéma extrême de Sarreguemines. Au centre Artaud, il n’y a ni blouse blanche ni pyjama. Les médicaments, seulement si nécessaire, ne sont que des éléments de la thérapie proposée par l’équipe de Patrick Chemla. « Le médicament n’agit que sur les effets, or la problématique humaine est bien plus complexe, de par la diversité de ses causes, à la fois sociales, traumatiques, anthropologiques », explique le psychiatre, qui refuse de « classer les gens dans des cases », selon les cloisonnements chers à Nicolas Sarkozy. (…)