Halte au Rapport Bockel [1]!
Cet été, dans le cadre de la relance de sa politique sécuritaire, le Président de la République a demandé à Jean-Marie Bockel, qui était alors secrétaire d'État à la justice, de préparer un rapport sur la prévention de la délinquance juvénile, rapport qui a été remis le 3 novembre 2010 à Nicolas Sarkozy. Le rapport tente d'expliquer l'explosion de la délinquance. Il est particulièrement clair : il s’agit de retrouver les voies de l’autorité en famille, à l’école et dans l’espace public.
Dans les familles, nous serions confrontés à la « toute puissance de certains enfants conduisant à l’anomie, effet d’éviction des parents dans certaines familles, démission parentale dans d’autres, création d’une économie intrafamiliale de survie basée sur les trafics, crise de notre modèle d’intégration républicaine » (page:8). Face à ce scénario catastrophe, à la « crise de la paternité », au nombre effrayant de « familles monoparentales », il conviendrait de « restaurer l’autorité » (essentiellement paternelle) et de sanctionner aussi les parents qui ne l’auraient pas compris.
Pour cela, il faudrait « développer un véritable programme national de coaching parental en s’appuyant sur les réseaux d’accompagnement des parents » (proposition 1, page:19) : un livret de la parentalité républicaine serait remis aux familles à l’issue de stages parentaux, il faudrait aussi “renforcer les capacités parentales et notamment les capacités de parents à parler avec leurs enfants par une approche comportementaliste de la parentalité qui repose sur des constats avérés” mais non démontrés dans le rapport… Ces propositions ressemblent d'avantage à des opérations de formatage et de normalisation des enfants et des familles qu'à des outils de prévention.
Le rapport préconise ensuite de confier un statut aux beaux-parents (proposition 2). Cela parce que «dans certains quartiers où explose la délinquance juvénile, plus d'un foyer sur deux est une famille monoparentale » (page : 20). L'idée sous-jacente est que le père ou le tiers fait défaut, alors que c'est justement lui qui incarne l'autorité. Il faudrait donc donner un statut au beau-parent afin d'aider à restaurer l'autorité ce qui est une vision très simpliste et réductrice du concept d'autorité et de fonction paternelle.
A l’école, le problème est un « constat d’échec unanime quant aux 150 000 mineurs qui sortent chaque année du système scolaire sans formation ni diplôme, absentéisme et décrochage scolaire conduisant à l’émergence d’une catégorie de jeunes sans repères, livrés à la rue, devenant des cibles privilégiées pour la délinquance et l’intégrisme religieux » (page:8). Prenant appui sur ces clichés, le rapport préconise de « restaurer la citoyenneté » et rappelle que la mission de l’école est de « faire intégrer dès le plus jeune âge la notion de règle » (page:9). Nous ne sommes donc pas surpris que ce rapport prône « l’intensification des échanges d’informations entre les équipes pédagogiques, la police et la justice ».
Ce rapport propose toute une gamme de sanctions et de contraintes parentales à généraliser afin d'impliquer fortement les parents dans la scolarisation de leurs enfants : « les parents défaillants ou qui ne répondent pas à un rendez-vous peuvent se voir convoquer, le cas échéant, par les services de police » (page:23), participation obligatoire des parents ne maîtrisant pas la langue française à une mise à niveau linguistique et républicaine (proposition 3, page:26), développement des mesures de rappel à l’ordre du maire envers les mineurs et leurs représentants légaux (page:26), généralisation des Conseils pour les Droits et Devoirs des Familles qui pourraient rappeller les droits et devoirs des parents, proposer un accompagnement, saisir le Conseil général pour la mise en place d’un dispositif plus contraignant allant jusqu’à la suppression des allocations familiales et saisir le juge des enfants en cas de danger pour l’enfant (proposition n°4, page:32).
Le rapport préconise aussi de généraliser le Contrat de Responsabilité Parentale. En cas de non-signature du contrat ou du non-respect de ses obligations des sanctions sont prévues comme la suspension de tout ou partie des prestations familiales ou comme une mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial sur saisine du juge des enfants (Proposition n°5, page 33).
Le rapport souhaite aussi « faciliter le recours aux poursuites pénales pour les parents défaillants » en modifiant le Code Pénal (proposition 6, page:35).
Toutes ces mesures semblent favoriser la répression au détriment de la prévention. Odile Banal, vice présidente du syndicat de la Magistrature, intérrogée sur ce sujet dit qu' “au lieu de revenir sur la véritable prévention qu' est l'assistance éducative c'est à dire la protection de l'enfance en danger, l'insistance sur le soutien aux familles, on reppart sur le rappel à l'ordre, le rappel à la loi, la multiplication des interventions du Maire, du Conseil Général et au final de tout ça il faut prévoir des sanctions, des amandes, toujours pour les mêmes, toujours pour les familles”[2].
La précarité économique favorise les comportements agressifs. Pourquoi alors ne pas s'intéresser au rétablissement d'une véritable justice sociale?
La septième proposition de ce rapport est elle aussi particulièrement préoccupante car elle relance l'idée d'un « repérage précoce » des troubles du comportement. L'idée d'une détection précoce des enfants potentiellement violents revient régulièrement, au prétexte de prévenir la délinquance. Cette idée avait suscité de nombreuses réactions de la part de psychologues et de spécialistes de la petite enfance lorsqu'elle avait été proposée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 2005, puis lorsqu'elle avait été reprise par Nicolas Sarkozy alors ministre de l'intérieur dans son avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance[3]. Cette disposition avait été abandonnée dans le texte définitif, voté en février 2007, après le tollé qu'elle avait suscité.
Dans son communiqué de presse du 4 novembre 2010[4], le collectif « Pasde0deconduite » précise que les liens entre des difficultés de comportement des jeunes enfants et une évolution vers la délinquance ont été invalidés par les sociétés savantes concernées, les professionnels et les citoyens impliqués dans le champ de l'enfance. Le Comité consultatif national d'éthique a dénoncé catégoriquement un tel amalgame dans son avis n° 95 rendu le 11 janvier 2007. En effet, mettre en place un dépistage précoce des futurs délinquants chez les enfants dès deux ans est du déterminisme, de la stigmatisation : c'est développer l'idée qu'il y a un lien de continuité entre la souffrance psychique de certains enfants qui engendrerait plus tard des comportements violents et délinquants. Ce rapport reprend l'idée portée par Sarkozy : la délinquance serait une maladie qu'il faudrait repérer, qui serait contagieuse au sein de la famille et qui serait pourquoi pas héréditaire. Dans ce rapport, il s'agit plus de prédiction que de prévention.
Pourtant Monsieur Bockel remet cette disposition à l'ordre du jour en s'appuyant sur l'institution scolaire. Il pense que cette « vulnérabilité pourrait être repérée chez les petits entre 2 et 3 ans », et s'appuie sur un projet d'avis du Conseil économique et social datant de février 2010, favorable à « un dépistage plus précoce des troubles mentaux des enfants et adolescents ». Il cite Jean-Pierre Rosenczveig, vice-président du tribunal de grande instance de Bobigny, qui estime que « l'école est le lieu de repérage le plus en amont possible des enfants en difficulté. Dès 3 ans, la quasi-totalité d'entre eux se retrouvent à l'école qui est le lieu idéal pour repérer les élèves en difficulté et mobiliser l'aide qui leur est nécessaire tant pour eux que pour leurs parents (page:43)». Ce rapport a tendance à se servir de la porole de spécialistes pour étayer son idéologie et justifier son projet politique.
Pour y parvenir, Monsieur Bockel souhaite la « création d'un réseau partenarial réunissant Éducation Nationale, Centre Médico-Psycho-Pédagogiques et services de psychiatrie infanto-juvénile » afin de « permettre au sein des établissements scolaires, la création d'équipes pluridisciplinaires (orthophonistes, psychologues, éducateur de rue, ASE, Éducation Nationale) en charge de détecter et de répondre à des comportements d'enfants difficiles » (page:44).
Pourtant, comme le remarque lui-même Monsieur Bockel dans son rapport, il y a un manque chronique des moyens alloués à la médecine scolaire, à l'action sociale, et à la psychiatrie. Il omet de parler de la disparition programmée des RASED, de la suppression en 2009 de 2000 postes de professionnels d'aide à l'école, des grandes difficultés que rencontrent les dispositifs d'AVS et d'EVS, etc. Monsieur Bockel préconise de faire rentrer des professionnels d'aide à l'école au même moment où le gouvernement vide l'école de ses professionnels d'aide! Et il fait l'impasse sur les moyens financiers à mobiliser et sur les outils de prévention qui existent en France mais dont la pérénisation est de plus en plus difficile: postes non pourvus, budgets supprimés, etc. Ce travail de prévention pourrait très bien se faire si on lui allouait des budgets suffisant, si on le revalorisait. Comment explique-t-on qu'il faille près de six mois pour recevoir des parents soucieux de leur enfant dans un Centre-médico-psycho-pédagogique? Il est évident que plus la population s'appauvrit, plus les besoins des outils de prévention – et non de prédiction- augmentent.
Monsieur Bockel ne semble pas percevoir que considérer qu'il faille s'occuper d'un enfant qui ne va pas bien quand il est petit pour éviter qu'il devienne délinquant nous mène dans un projet de société qui conduit à du contrôle, du pistage des enfants. Dans ce rapport, le soin, la prise en charge psychologique n'émanerait plus du Ministère de la Santé mais bien du Ministère de la Justice.
Que vient faire la justice dans cette affaire de prévention des difficultés des enfants ? A travers ce rapport, le projet gouvernemental est de mettre la protection de l'enfance sous l'égide de la prévention de la délinquance, l'école assurant la jonction entre protection de l'enfance et prévention de la délinquance. Ce rapport est dans la lignée de la loi de la prévention de la délinquance de 2007. Certains articles de cette loi obligent la protection de l'enfance à rendre des comptes à la prévention de la délinquance. Y est préconnisé le partage d'informations nominative qui est une atteinte au secret professionnel. Des personnes en situation de soutien, d'aide, à des familles qui viennent leur confier leurs difficultés, sont tenues de faire remonter leurs informations auprès du Maire où est représenté la Préfecture de Police. Cela ressemble dangereusement à de la Délation.
C'est sans doute pour cela que dans ce rapport, Monsieur Boquel préconnise de réformer le métier d'éducateur de rue, donc de l'arrêté du 4 juillet 1972 : “en effet, ce métier demeure encore trop lié à la protection de l’enfance comme en témoigne l’arrêté du 4 juillet 1972 indiquant très clairement que « l’activité du club ou équipe agréée s’intègre dans les actions de prévention de l’aide sociale à l’enfance. Son caractère trop restrictif constitue en l’état une limite à l’efficacité de son action» (page:76)”. Monsieur Bockel préférerait que les éducateurs de rue soient du côté de la prévention de la délinquance. Il souhaite donc que “les pouvoirs publics redonnent une vraie densité au lien indéfectible entre ordre public et travail social (page:75)” et espère “faire revenir l'éducateur de rue dans l'espace public pour une reconquête des territoires” (proposition n°13, page:76).
Comme l'explique fort bien Monsieur David PUAUD, éducateur de prévention spécialisée, dans son courrier à Monsieur Bockel[5]: l'éducateur de rue ne peut être une force de concquérant venant restaurer l'ordre public dans les quartiers. L'arrêté de 1972 représente les conditions nécessaires et spécifiques au bon déroulement de ses actions éducatives en milieu ouvert. Sa remise en cause n'est pas une idée neuve, elle date de la loi de prévention de la délinquance de 2007…
Par ailleurs, Monsieur Bockel souhaite élaborer une charte de qualité visant à la réduction des délais d’exécution des mesures éducatives judiciaires (proposition n°12, page:73) sans pour autant s'interroger sur ce qui provoque cet embouteillement des services d'Aide Educative en Milieu Ouvert.
Pour conclure, ce rapport véhicule une conception bien particulière de la République teinté d'un moralisme inacceptable et poursuit les logiques sécuritaires du gouvernement.
Pour établir certaines propositions, Monsieur Bockel s'appuie sur des fais divers médiatisés mais contestables et contestés (le rapport INSERM sur le « trouble des conduites », la prétendue explosion de la délinquance des jeunes filles). Ce rapport fait des généralités à partir de points de vue plus que douteux sur l'immigration, il cible les « quartiers sensible », où habite la population « issue de l’immigration », qui abrite massivement des parents démissionnaires et plus ou moins intégristes. On y découvre par exemple que « certains parents d’origine étrangère ne perçoivent la France que comme un pays dans lequel il serait interdit de punir et interprètent la liberté comme un droit à la permissivité. » (page:14), que l'absence de père dans le processus éducatif « s'aggrave dans certaines familles d'Afrique noire où la mère s’occupe exclusivement des enfants pendant toute la période du primaire » ou encore que « dans certaines familles d’origine maghrébine, la mère joue à l’égard des garçons, un rôle de surprotection néfaste à l’acquisition des interdits républicains ».
Finalement, selon ce rapport, les causes de la délinquance seraient principalement culturelles et familiales. On y entend un regrêt de la “puissance paternelle” et l'idée saugrenue que l'égalité homme/femme et l'autorité parentale partagée seraient la cause de la délinquance. Quand on tente de dépister des troubles psychiques chez des petits enfants dans le but de prévenir la délinquance, il ne faut pas oublier que si les enfants vont mal, ce n'est pas forcément parceque les parents sont fautifs mais parce que les conditions de vie se détériorent dans notre pays.
Il ne semble pourtant pas avoir parut opportun à Monsieur Bockel de travailler le lien qu'il pourrait y avoir entre précarité, inégalité et délinquance. La lecture de ce rapport donne une impression étrange : l'État prône des actions de de réeducation comportementaliste et de sanction pour compenser les moyens de prévention qu'il détruit petit à petit.
Il semblerait que Monsieur Benisti, qui avait rédigé le rapport de la Prévention de la délinquance en 2005, ait d'ici peu à proposer un nouveau rapport sur ce sujet.
Bénédicte Maurin
1 A consulter sur:
2 “Café Picouly”, émission du 19/11/2010 sur france 5.
3 A visionner sur internet, le film l'enfance sous contrôle, de Marie-Pierre Jaury, présenté sur France 5 le 11 mai 2010
5 David Puaud, Lettre d'un éducateur de prévention à Mr Bockel in Rebond de la revue “Lien social”