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>Pour une refondation de la psychiatrie (Tribune dans liberation.fr, le 02 janvier 2012)

Par Hervé Bokobza, psychiatre, membre du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire

La psychiatrie, discipline profondément ancrée dans le champ social, est en grave péril. Ceci a été dénoncé vivement et clairement lors des états généraux de la discipline en 2003. Nous affirmions alors que seul un changement radical de politique permettrait d’éviter le risque de désastre sanitaire auquel nous étions confrontés.

Traiter des personnes souffrant de pathologie mentale pose toujours la question de l’exclusion et de la ségrégation : la peur de la folie est ancestrale et le demeurera probablement. Peur de la folie de l’autre, de la sienne, de l’étrangeté, de l’étrange, du déraisonnable.

Soigner, c’est dédramatiser, faire confiance, accompagner, encourager.

C’est, quand cela est possible, rassurer les familles, tenter d’expliciter notre travail, leur permettre de traverser des moments on ne peut plus douloureux.

Or, il y a trois ans, le président de la République est venu stigmatiser les malades mentaux : ils seraient tous potentiellement dangereux, nous a-t-il affirmé.

Le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire est né de cette infamie.

En juillet, une loi inique et liberticide était votée : sous-tendue par cette supposée dangerosité, elle enferme les patients dans une coquille sécuritaire et elle continue de transformer les soignants en exécuteurs de diktats normatifs. Au lieu de veiller sur les patients, on nous demande de les surveiller.

La norme envahit les services, les pratiques, les espaces de soins : tout doit être contrôlé, protocolisé, prévu, géré, contrôlé, sécurisé. Or, le soin a besoin de liberté de penser et d’action, de confiance, de surprise.

Notre temps doit être consacré à nos patients, au travail de réflexion au sein des équipes de soin. Or, pour répondre aujourd’hui à ces exigences normatives, chaque soignant est convoqué à se replier ou à se renfermer pour accomplir sa «mission» : remplir des cases, des fichiers. En fait, tout se passe comme s’il fallait éviter, refouler ou dénier l’essence même de notre pratique : la rencontre avec le patient, seul garant d’un soin de qualité.

Une machine infernale est en marche. Chacun tente de résister comme il le peut. Lors d’un récent débat avec Claude Finkelstein, au forum de Libération à Lyon, j’insistais pour signifier que la psychiatrie ne se limitait pas, loin de là, «aux horribles internements» ; que près de trois millions de personnes se confient à des soignants tous les ans avec confiance et espoir, que c’est justement pour tenter de sauvegarder ces rapports de confiance que des mouvements importants de toute la profession s’étaient organisés dans le but de combattre cette récente loi qui justement institue la méfiance. Mais nous avons perdu une nouvelle bataille.

Dans ces conditions, que deviennent et que vont devenir nos lieux d’hospitalisation ? Seront-ils ou ne sont-ils pas déjà complètement obsolètes ? Ne sont-ils pas les lieux qui peuvent le moins résister à cette machine normative et excluante, dont les récentes lois ne représentent que les derniers avatars ?

Devrons-nous continuer d’accepter que nos pratiques soient à ce point méprisées, dévalorisées, étouffées par les pouvoirs publics ?

Devrons-nous continuer à garder un «entre nous de circonstance» où chacun tente de se débrouiller comme il le peut, en s’épuisant et parfois vainement, et n’a de cesse de dire : «Ce n’est plus possible» ?

Devrons-nous encore longtemps courber l’échine, oublier de dire, accepter l’inacceptable, participer à cette formidable œuvre de démolition qui s’accomplit devant nous et hélas parfois avec nous, au mépris de nos valeurs et de nos espoirs ?

Car nous continuons d’affirmer que ceux qui souffrent de pathologie mentale ont besoin et auront besoin à des moments de leur existence de recourir à des lieux d’asile et qu’il est hors de question de supprimer encore des lits ! Mais inventer des lieux où l’accueil de la souffrance est possible est indispensable ! Lieux où les rencontres nécessaires à tout soin qui se réclame «humain» ne sont pas dictées par des protocoles aliénants, lieux où les règlements ne sont pas l’unique proposition «contenante», lieux où prendre du temps est possible et estimé nécessaire, lieux où le patient puisse tout simplement être reconnu dans sa singularité.

Or, jour après jour, ces espaces sont de plus en plus difficiles à maintenir vivants. Que beaucoup disparaissent pour laisser place à des endroits indignes des valeurs humanistes qui ont fondé la psychiatrie moderne nous fait honte et nous révolte. Nous ne l’acceptons pas car cela nous écœure.

Seul un mouvement de grande envergure réunissant soignants, patients, familles, citoyens pourra stopper cette machine infernale. Il est décidément grand temps de refonder la psychiatrie.

Article original sur liberation.fr : http://www.liberation.fr/societe/01012380766-pour-une-refondation-de-la-psychiatrie

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>«Le déni du transfert amène à transférer l’autorité soignante sur celle de la justice»

 

 

 

Les médias se déchainent : le conseil constitutionnel déclare une partie de la loi 1990 contraire à la constitution et ordonnent l’intervention des juges qui devra décider si un patient admis depuis plus de 15 jours en HDT doit le demeurer ou non
deux petits rappels :

 

– La constitution de la 5ème république est une des plus antidémocratique que notre pays ait connue, qu’elle fût dénommée « le coup d ‘état permanent » par d’illustres hommes de gauche et que tout programme un tant soit peu progressiste devrait inscrire au centre de ses propositions la constitution d’une nouvelle république . C’est dire combien nos sages ( ?) du conseil constitutionnel sont prescrits par une armature juridique bien souvent anti démocratique

 

– Ce n‘est pas la loi de 1990 qui empêche de soigner, ni cette loi qui autorise  des arbitraires insupportables, ni cette loi qui favoriserait des internements arbitraires, ni cette loi qui porterait attaque aux libertés fondamentales

 

Je soutiens que les principales attaques contre les libertés fondamentales en psychiatrie se situent dans un délitement grave d’un des principes républicains et démocratiques majeurs, issus de la grande guerre et de la création de la sécurité sociale : l’accès à des soins de qualité pour tous.

 

C’est cette dégradation gravissime qui entraine tous les abus, les inconséquences, les arbitraires.

 

Le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire n’ a de cesse de l e répéter : la percée dans l’opinion et les médias du discours sécuritaire est la conséquence de l’abandon progressif de l’engagement des équipes soignantes dans des soins de qualité ; que cela soit  à cause du manque de moyens, à une formation misérable ou à une conception de la folie qui tenterait de lui dénier son caractère inhérent à tout fonctionnement humain.

 

Nous sommes en face d’une catastrophe sanitaire sans égal : les équipes soignantes sont écrasées et maltraitées par la bêtise et l’incompétence d’un système qui ne met plus le patient au cœur du processus de soins .

 

La Réforme de la loi de 1990 annoncée depuis deux ans  a été combattue par notre collectif : demande de moratoire dans un premier temps, dénonciation du projet Bachelot dans un second temps. Et tout cela pour des raisons très simples : seule une grande réforme de la psychiatrie  et non pas uniquement une réforme des soins sous contraintes pouvait éviter le pire.

 

Hélas nous ne pensons pas que ce gouvernement pouvait nous proposer une réforme progressiste…

 

Et voilà que le conseil constitutionnel s’en mêle, obligeant notre gouvernement à changer certains aspects de la loi de 1990 avant juin 2011

 

Et pour l’instant pour les patients en HDT : ainsi le juge déciderait pour les HDT et les préfets Pour les HO !!

 

Certains crient victoire : le pouvoir du psychiatre est ainsi « transféré »  aux juges. Qui peut ainsi crier victoire ? Les patients ? Les familles ? Les psychiatres ?

 

Que fera de ce pouvoir le juge ? Que sera cette nouvelle alliance juge psychiatre ? Mariage forcé, mariage arrangé ? Attelage de raison, de passion ? Quel intérêt pour les soins ?

 

Que vont devenir des soins régularisés par un juge ? que vont ressentir, penser ou vivre les patients qui seront à l’hôpital sur décision du juge ? 

 

J’avoue que j’aime bien savoir quand je fais un certificat d’HDT, que c’est avec l’équipe de soins et son engagement que vont se décider les soins, se vivre leur évolution, leur arrêt, leur poursuite : dans le transfert avec une équipe soignante

 

Or   le déni de ce  transfert  devient radical. Ce déni du transfert soignant amène à transférer l’autorité soignante sur celle de la justice.

 

Mais je dois être de ceux qui sont contre les libertés fondamentales puisque le cc en a décidé autrement…

 

Certains disent qu’il y a des scandales à l’HP ; exact sans doute. Mais croyez vous sincèrement que les juges vont stopper cela ? Pire encore quand une décision judiciaire entérinera une hospitalisation que certains trouveront injustifiée, ne croyez vous pas que le couvercle se refermera presque définitivement sur l’injustice ou la maltraitance ?

 

Ainsi, à mon sens, cette décision du cc en apparence favorable aux droits des malades mentaux risque d’être utilisée une fois de plus contre eux : la destruction des hôpitaux ira en s’accroissant, la place des équipes soignantes sera de plus en plus prescrite par une loi de la cité qui se trouvera de plus en plus en contradiction avec la loi de l’engagement dans les soins.

 

Nous n’avons pas besoin de juges mais de moyens, de formation, d’équipements, de discours valorisant et encourageant: telle est l’urgence en psychiatrie !

Toute autre loi serait faite pour amuser la galerie et pour éviter les vraies questions ; toute autre loi participerait , peu ou prou, à l‘organisation de cette catastrophe sanitaire

Ainsi  Le projet des soins sous contrainte en ambulatoire (enfermé chez soi, malgré soi), liberticide s’il en est,  risque de se trouver conforté par cette décision du conseil constitutionnel ! Paradoxe pour certains,  cruelle évidence pour d’autres dont je suis..

 

petit billet d’humeur…

 

Hervé BOKOBZA

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